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 (eachan reid)

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Ishikawa Ryuku
Ishikawa Ryuku
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MessageSujet: (eachan reid)   (eachan reid) EmptyDim 15 Sep - 17:05

fiche

crédits icons : bandit rouge, vocivius, poésies cendrées, prima luce, bramble rose, childish

eachan reidnot in love we're just high
(c) morder
Nom(s), prénom(s) (eachan finnlay reid faust) s'il a récemment amputé cette dernière syllabe pour retrouver l'illusion d'une liberté et que les sonorités écossaises soulignent son allégeance aux reflets des lochs plutôt qu'à des mythes sorciers issus d'une époque oubliée, il enfile cette identité comme un vieux manteau usé qu'il s'est maintes fois convaincu d'abandonner avant d'en sentir l'odeur familière de nouveau et de le serrer contre son cœur avec une douleur chaleureuse. Âge, date et lieu de naissance (trente mars, inverness) du haut d'une cinquantaine d'années se juxtaposant avec la fragilité d'un château de cartes, le bélier a arpenté le monde entier mais c'est dans les contrées bordant les routes sinueuses qui cernent le loch ness qu'eachan voit le jour. un diseur de bonne aventure lui a annoncé qu'il reviendrait mourir en écosse, et il s'est fait à l'idée d'une fidélité si triviale car elle se marie bien avec son air réprobateur. Origines (écosse, irlande, hawaï) mais il se sait homme des pays froids où le temps capricieux reflète ses humeurs, une pathetic fallacy incessante et cousue à son existence qui le verra s'éteindre comme le soleil couchant après une journée d'averses venues troubler la surface placide d'un lac serein et obscur. Nature du sang (né-moldu) une fierté, un étendard, un joug, un miracle, une condamnation à mort et son majeur dressé vers des époques plus sombres, tandis que ses yeux se lèvent au ciel devant les visages offensés de ses jeunes semblables, nés en temps de paix. Province (écosse) et il y a quelque chose de doux en scandinavie qui lui rappelle d'où il vient, se penchant parfois à un balcon de durmstrang pour y contempler l'horizon où se trouvent ses racines en imaginant qu'il regarde dans la bonne direction. Statut civil et orientation (divorcé) mais son cœur le dirait veuf s'il pouvait en parler. cela fait sept ans. (bisexuel) au cœur d'une génération creuse née à woodstock et morte du sida. eachan aime comme il consomme : sans modération, sans réflexion, sans vergogne. Métier ou études (auror) chef d'une faction d'espions britanniques répondant directement au ministre de la magie, son travail est de recruter des profils et de les charger d'une mission. la chute de voldemort entraîna de grands financements en matière de défense et de politique étrangère au royaume-uni, et le ministère souhaite être au courant du moindre frémissement extrémiste sur ses terres comme au-delà des mers. (commis de cuisine à durmstrang) une couverture qu'il tient pour enquêter sur les rumeurs d'une secte scandinave, épaulé par fayth washington, une vieille recrue toute droit sortie des confins de new york dans les années 90 et basée à göteborg. pour le bien de la mission, ils jouent le rôle d'un couple afin qu'eachan puisse avoir un pied-à-terre à la capitale. Double keanu reeves. Trigger-warnings addiction et consommation de drogues, violence, dépression, suicide, sexe
Patronus un premier souvenir fragile ayant fait frémir sa baguette d'une douce lueur blanche a vite été remplacé par un second, plus intime encore, ces fragments d'âme que l'on cache en soi-même et que l'on ne perd jamais : l'odeur et le goût de la cuisine de sa mère l'envahit pour laisser la murène ruban jaillir face aux ténèbres. il n'hésite d'ailleurs pas à jeter le sort même seul afin d'être submergé de cette émotion unique qui sait chasser toutes les autres.

Baguette se séparant d'une baguette d'aubépine au début des années quatre-vingt-dix dans des circonstances aujourd'hui échappées de sa mémoire poreuse, il en achète une seconde clandestinement pour rejoindre la résistance, un an avant la défaite du seigneur des ténèbres. cette dernière, rigide et longue d'une bonne trentaine de centimètres, luit d'un noir sombre propre à l'ébène qui renferme la ventricule du cœur d'un norvégien à crête.

Amortentia écrire ici Miroir du Riséd écrire ici Épouvantard écrire ici

Famille développez ici la famille de votre personnage et son rapport avec.

Allégeance indiquez ici la divinité et le clan auxquel.le.s votre personnage a décidé de prêter allégeance à son entrée à durmstrang et pourquoi, ainsi que son allégeance personnelle si elle est différente.

Particularité magique développez ici la particularité magique de votre personnage si iel en a une, la manière dont iel le vit et dont iel s'en sert.

Trivia Tout ce qui ne rentre pas dans les cases ci-dessus, des précisions particulières sur votre personnage ou rien du tout si tout est déjà dit.
lâchedépendantréprobateurfranctaciturneréfléchicaractérieléloquentprotecteursongeur
derrière l'écran elsa, 24 ans (lol oui who knew), way too millenial for my own sake, 1/4 rital 1/4 allemand mais 100% fluff tbh


Dernière édition par Ishikawa Ryuku le Dim 9 Fév - 13:48, édité 7 fois
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Ishikawa Ryuku
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MessageSujet: Re: (eachan reid)   (eachan reid) EmptyDim 15 Sep - 17:06

PROLOGUE, “slicing onions will be the death of us all”
lover, boy i got a heartache, that ole' muscle in my chest, can you take it away? so easy to get caught, stuck repeating the same phase. remembering to join up the dots before i lose my way. cheer up, it's always the same thing. you said if i can do it one time, i can do it again, sober and i'm tired of it (you said if i can do it one time, i can do it again) ✩ theme


Je ne crois pas qu’à ton âge tu connaisses la rage du lion en cage. As-tu déjà entendu le crissement des os se brisant sous tes doigts ou simplement le chant de l’eau givrant face au froid ? Le goût du métal avant l’injection létale, triste fin parce qu’on reste sur sa faim, on dévore ceux que l’on traite de vautours parce qu’ils volent plus haut et jouent des tours. Mais même si j’attendais un trait fin et sagittal dans ma poitrine, je n’ai qu’un poids sur le cœur et un rire effacé, imaginé sur un visage émacié qu’aurait porté mon prédateur si j’avais fait partie de la chaîne alimentaire. Non, moi je fais partie du régime élémentaire, totalitaire, dans lequel tu dois te taire et plaire avec ton rictus frappé au fer brûlant sur les lèvres, bonus si tu te laisses faire en silence, malus si tu t’élances dans le vide pour échapper aux insectes qui rampent sous ta peau. Dommage, ils tombent avec toi, la secte ne te laisse jamais t’écraser sans contrôler ta chute pour effacer les traces de ton sang sur les pavés après ta mort. Un hommage sur ta tombe alors qu’ils t’ont injecté les mensonges dans les veines, qu’ils ont tenu la laisse que tu avais au crâne et que la crasse qui t’aveuglait se trouvaient sur leurs mains tavelées, couleur tumeur. Tu ne connais pas la colère, juste un écho en l’air que tu as entendu au fond de toi sans le comprendre, le prendre, parce que tu le méprends mais qu’il te pend au nez comme un condamné sur l’échafaud devant des cons damnés et des chafouins. Et quand tu comprendras que rire rime avec mourir alors tu écouteras attentivement le temps qui passe et qui n’attend pas à la recherche d’un bruissement incertain, peut-être le bonheur, pour lequel tu ne risquerais rien car tu être lâche. Je te dis ça parce que j’ai été lâche moi aussi. Et douleur rime avec douceur, avec doux cœurs, ceux qui se font rares en ces temps opprimés, ceux qui ont quitté le thorax des hommes pour suivre un autre axe, tôt un matin avant l’aurore, pour ne pas que les loups se lèvent avant eux, pour ne pas que l’horreur les prennent malgré eux. Alexandrins, poème, bohême, beau et même doux comme douze chœurs chantant les mois de ces années qui n’en finissent pas, le moi de chaque ego, le ça ça-et-là, le surmoi comme un mot sur une partition moite, un vieux livre de psychologie que personne n’a jamais compris car les riches ont une autre logique et les pauvres n’ont pas de logis.
Je suis un animal et mon âme a mal.
Je ne connais pas l’attachement. Je connais l’addiction et c’est pire que tout, car elle m’empêche d’aimer.
Mes yeux s’ouvrirent comme résolus à laisser échapper l’écho d’un rêve à travers les lueurs d’un matin déjà mûr. Le déjà-vu papillonna un instant entre mes côtes puis s’estompa pour ne laisser qu’un vide qui m’était familier. Ma poitrine retomba au rythme de mon expiration et je toussai deux, trois fois, sèchement : j’étouffai, presque nu contre des draps trempés de sueur, incapable de retrouver une vision nette ou le fil de mes pensées qui semblaient traîner depuis la veille, comme un vêtement laissé sur le sol au pied du lit. Je rabattis mon corps sur un seul côté et devinai devant moi une silhouette étendue, encore endormie. Mon bras se tendit pour venir s’enrouler autour de son buste, avec toute la délicatesse dont j’étais encore capable : je crispai trop vite mes muscles et m’y accrochai comme à une bouée de sauvetage. Il gémit en émergeant de son léger sommeil mais je ne bronchai pas, pressant mon front contre son dos pour le forcer à réagir.
« Let me go. » Silence. La voix brisa mes attentes, comme chaque matin, et je soupirai doucement pour évacuer ma déception. Mes doigts reconnaissaient peu à peu la peau robuste du jeune homme, striée de quelques cicatrices mais toujours agréable au toucher, et je finis par lui obéir en glissant de nouveau pour faire face au plafond. Il se tourna pour m’observer et je n’eus pas besoin de le faire pour retrouver ma mémoire poreuse.
Belize avait toujours un air rieur au fond des yeux mais ses sourcils froncés le rendaient étrangement menaçant. Je l’avais contrarié et j’attendais qu’il me mette à la page, tel un mauvais élève n’ayant écouté aucune consigne avant de commencer l’exercice. Il me toisa avec sévérité puis se redressa pour enfiler un haut moulant sa poitrine musclée. Sa silhouette élancée dansa dans le coin de mon regard à mesure qu’il se préparait, s’habillant comme pour partir, comme pour ne jamais revenir. « You ok? » Il suspendit ses gestes, me laissant contempler toute l’étendue de son agacement confondu dans le rythme de sa respiration. Puis il pivota, une cigarette entre ses doigts, des éclairs entre les lueurs qui faisaient briller ses iris : « Better now that I know you’re alive. » Il n’avait pas besoin d’en dire plus. Sa présence dans mon lit solitaire cachait mal son désarroi et sa détresse en retrouvant un corps inerte sur le plancher la veille au soir. Je me passai d’un sourire navré tant je pouvais deviner que cela ne ferait que l’exaspérer davantage. Cependant, il tremblait d’une colère qui ne lui ressemblait pas : une colère triste et soudaine, relâchée après la nuit par mon contact fiévreux faisant brûler de nouveau les sillons des larmes qui avaient séché dans la torpeur.
« Tell me what’s going on. » lui intimai-je avec la douceur d’un lendemain d’extase. Comme s’il me devait la vérité. Comme si me dire ce qui n’allait pas avait déjà aidé qui que ce soit. Je pouvais bien faire semblant, juste pour cette fois.
Il alluma sa cigarette d’un geste adroit, se passant d’utiliser sa baguette. « Stop acting innocent. » J’arquai un sourcil, puis son regard insistant me fit reprendre mesesprits et je jetai un coup d’œil au calendrier accroché au mur d’en face : il était temps d’y aller. Il remarqua ce détail et se dressa alors au-dessus de moi, sa baguette entre ses doigts agiles qu’il pointa vers mon visage lugubre. « Don’t even think about it. » Son ton déterminé me confirma mes craintes : Belize savait. Et sa mine furieuse me fit lever les yeux au ciel : c’était bien la raison pour laquelle je m’étais acharné à lui cacher.
« Oh… I’m thinking about it… » soufflai-je, moqueur, mais bientôt ses poings fermés s’abattirent sur mes côtes et je me recroquevillai pour m’en protéger, laissant libre court à sa douleur avant qu’il puisse me faire de dignes adieux. « You don’t have the right to do that. » Ses affirmations me donnèrent envie de rire, aîné borné que j’avais toujours été avec lui, mais je me contentai d’étirer mes lèvres avec cette bienveillance résolue dont se paraient les mourants en accueillant leur sort.
Il aurait été trop simple de mettre ainsi fin à mes jours, et il fallait croire que les restes de mon éducation religieuse refaisaient surface au moment opportun pour m’empêcher d’accomplir ce geste funeste. Pourtant l’idée m’était venue, néanmoins mes fréquentations douteuses m’avaient mené à une issue différente, qui ne se targuait pas d’être parfaite mais qui me correspondait plus que le suicide, lâche comme j’étais face à la mort.
Belize, finalement calmé, s’allongea à mes côtés, les restes de sa cigarette mourant dans le cendrier. Mon tempérament étrangement placide semblait l’avoir résigné à m’écouter. « You’re aware it’s completely illegal, right? » chuchota-t-il en se blottissant contre moi, et cette fois je ne pus retenir un rire amusé qui tordit mes joues de douleur. « And it worries me because… ? » Il me donna un coup de genou : « Asshole. » Je me tournai finalement vers lui et il fit mine de me repousser, comme un chat endormi tendant ses pattes pour garder ses distances, mais mes bras se refermèrent à nouveau autour de lui, cette fois conscients de qui ils enlaçaient avec tendresse. Nos cœurs résonnèrent l’un contre l’autre, plongés dans un silence que ses sanglots vinrent briser et je posai sur son visage mes yeux cernés pour le contempler comme pour la dernière fois.
Mais c’était la dernière fois.
Il disparaitrait comme tous les autres. Aujourd’hui, je laissais mes souvenirs mourir et retrouvais une identité vierge. Aujourd’hui renaissait Eachan Reid.
« It won’t work. » Je m’étais attendu à ses doutes et me préparais à ses sermons. « You’ll forget us. But you won’t forget that. » Il posa sa paume au creux de mon coude et pressa ses phalanges contre les traces de mes blessures. L’espace d’un instant, j’eus l’impression de revivre tout à nouveau, le paradis comme l’enfer, l’ascension et le prix à payer qu’était la chute. Les larmes perlaient aux cils de Belize et il secoua la tête pour les chasser, pour se montrer intransigeant, pour me prouver qu’il n’y avait aucune raison dans les actes que je me préparais à commettre : « Your body won’t ever forget the drug and it kills me to see you’re ready to give up on everything because of it. » Il n’avait peut-être pas tort sur ce point, mais ça valait le coup d’essayer. « This ain’t my first time.. » Il fit basculer son corps pour libérer son esprit de mon aura morose : « You’d forget him? » Je levai les yeux au ciel. « You took me for him earlier. » Dans le flou matinal et le besoin de ne plus me retrouver seul, oui, j’avais confondu. Et je ne voulais plus souffrir d’être déçu par ma réalité.
« It won’t work. » répéta-t-il à nouveau, sans comprendre que rien ne fonctionnait jamais avec moi, et l’espoir arrivait en tête de liste. « Your sadness moves me. » Il plissa les paupières et m’observa une dernière fois : il devait voir sur mes traits toutes ces choses pour lesquelles il avait eu du mépris toute sa vie, arabesques mouvantes lui donnant le tournis et l’envie de rendre sur mon corps affaibli toutes ces insultes qu’il se gardait de lancer à ce monde qui n’en valait pas la peine. Mais à nouveau, il se ravisa et se leva sans la moindre hésitation. Rassemblant ses maigres affaires d’un coup de baguette, il enfila son blouson et gagna la porte d’entrée sans me jeter un ultime coup d’œil : je l’aurais accueilli de bonne grâce pourtant, qu’il fût de peine ou de rancœur. Seul le claquement de la porte ponctua ses mots : « Go fuck yourself. »
Silence. Je remarquais à quel point ce dernier était plus profond à chaque fois.
Mais, aussi furibond soit-il, Belize ne pouvait me convaincre. Personne n’avait pu. Personne ne voulait plus s’y risquer car non, je ne connaissais pas l’attachement salvateur qui faisait soulever des montagnes pour les autres – quand on le faisait ainsi tout autant pour soi-même.
Je ne connaissais que l’addiction, sœur perverse de la fidélité, et toutes mes relations avaient été bâties sur ces fondations bancales, cimentant chaque brique de la bonne volonté des autres, ceux-là mêmes qu’elle m’empêchait d’aimer.
Va te faire foutre, Eachan.
Ce n’est pas l’addiction qui t’empêche d’aimer.
C’est ta lâcheté.
Et aujourd’hui encore, tu fuis. Aujourd’hui encore, c’est elle qui a raison et non toi.
Aujourd’hui encore, tu leur donnes une raison de claquer la porte et de ne jamais revenir.


(2018) Je parcourus le couloir sombre sous ma forme animale, sans lever mes yeux ambrés vers les cadres aux photos mouvantes qui décoraient le mur. Une forte odeur régnait sur les lieux humides et, bientôt, la lumière de la fenêtre fut hors de mon champ de vision. Des sortilèges avaient été jetés ici, brouillant nos sens et nos idées pour endormir cette part de nous qui restait toujours aux aguets. J’atteignis bientôt un petit vestibule où avaient été disposés quelques chaises, comme dans la salle d’attente d’un médecin. Je grimpai sur l’une d’elles d’avec agilité, m’allongeant sans jeter un regard à la silhouette silencieuse qui me toisait dans un coin. Son visage était plongé dans l’obscurité, cachant ses traits pour le rendre méconnaissable. Mes oreilles s’agitèrent et je passai doucement ma langue sur mes poils en bataille : je n’avais pas eu le temps de faire ma toilette, les mots de Belize s’étant répété en boucle dans mon esprit jusqu’à ce que le temps me presse et que je n’eus plus d'autre choix que de partir.
La porte du cabinet, que je remarquai alors, s’ouvrit en un grincement douloureux et une main me fit signe d’entrer. On ne me demanda pas mon nom : l’atmosphère semblait respecter l’anonymat que chaque âme foulant ce linoleum usé voulait garder et mon corps de renard se laissa de nouveau tomber sur le sol pour suivre mon guide.
Il me mena à travers quelques corridors tordus, prenant soin de fermer les portes restées entrouvertes par des inconscients. Mon ouïe, certes fine, ne rencontrait que le silence et je mis ce handicap sur le compte des enchantements. Il me semblait qu’on avait jeté un sort à chaque objet qui croisait ma route car l’air était chargé de fluides qui n’avaient rien de naturels. S’agissait-il d’un premier test pour savoir si j’avais la force d’aller jusqu’au bout ? Mais j’avais connu des squats plus lugubres et des sous-sols plus sordides que celui-ci, desquels j’étais sorti bien vivant. L’homme tourna la tête pour vérifier que je suivais la cadence et je perçus dans son regard un éclat d’approbation auquel je ne réagis pas. Je n’étais pas venu ici pour faire mes preuves. Il n’y avait plus rien à prouver.
Il s’arrêta devant un seuil et, après avoir déverrouillé l’entrée, m’intima muettement de pénétrer à l’intérieur de la salle. Je m’exécutai, mes griffes frôlant alors une matière nouvelle : un carrelage serré et grisâtre marbrait le sol de la pièce, comme dans une vieille cuisine où l’aération n’avait jamais suffi à chasser l’odeur de l’ail. Cette dernière était bien présente, souvenir commun à plusieurs générations, et je fronçai le museau pour m’y habituer au plus vite, comprenant qu’elle allait m’accompagner durant les heures à suivre.
« Hello, Mr. Faust. » Mes poils se hérissèrent et je bandai mes muscles en position défensive avant de remarquer la présence, non loin du plan de travail. Dans ses mains, un couteau de cuisine qui venait de servir, et au coin de ses yeux des larmes : « I’m sorry. Slicing onions will be the death of us all. » Je discernai à présent mieux le timbre de sa voix, comme si cette dernière venait d’être changée. Elle, puisqu’il s’agissait d’une femme, passa ses mains sous l’eau du robinet et les essuya contre son tablier. « You can turn into your human form for now. It’ll be easier that way. » Elle s’installa à la table qui nous séparait et hocha la tête dans ma direction, encourageante. « This is a safe space, Eachan. » Mon air défiant ne la croirait jamais, elle n’était pas dupe. Pourtant je finis par me laisser pousser par son regard insistant et abandonnai mon enveloppe charnelle pour une autre.
Mes habits dataient de la veille, la tache de vomi sur mon col le témoignait amplement. Mes cheveux gras retombaient sur mon front en une courbe désabusée et mes yeux fins étaient parés de cette même expression paranoïaque que je croisais dans les yeux des oiseaux solitaires qui décoraient mes nuits une fois les derniers métros ayant fini de gronder sous mes pattes sauvages. J’étais de ceux dont la lune reflétait le teint blafard pour terrifier les ambitieux qui auraient dû rentrer plus tôt. Combien d’entre eux avais-je fait fuir, combien d’entre eux mes descentes aux enfers m’avaient forcé à attaquer ?
« Sit. » m’indiqua la femme en déposant d’un coup de baguette une tasse devant ma place. « You can call me Olly. This ain’t my real name, but this ain’t my real body and voice either. This room adapts itself to your mind, it reflects whatever your subconscious wants it to be. Like a dream feeling real. » Elle disait cela d’un air satisfait, ce qui m’agaça, mais je finis par m’installer sur le siège, me repliant au-dessus de la porcelaine vide.
« This is all magic. Illusion. What we’re about to do is painful and irreversible so it’s better for us to be somewhere you feel comfortable. » Je ricanai finalement, perplexe : « How is this room comfortable? » Elle haussa les épaules sans enthousiasme. : « Only you can know the answer. It’s your subconscious, not mine. » Mon éternel besoin d’avoir toutes les cartes en main voulut prendre le dessus pour chercher à comprendre, mais elle ne semblait pas à même de répondre à mes questions de façon moins énigmatique, me poussant à l’introspection.
« Let’s go through the procedure now, if you don’t have further questions. » Elle battit des cils, attendant une réaction approbatrice de ma part. Elle dut s’en passer pour poursuivre : « You’re here to erase some of your memories. » Je déglutis mais ne bronchai pas. Poser des mots sur des actes les avaient toujours rendus plus difficiles à accepter, et l’espace d’un instant, je me forçai à chasser le regard de Belize, son expression figée et amère dénuée de toute compréhension prenant d’autant plus tout son sens à présent que j’étais proche de commettre l’irréparable. « Most of my memories. » corrigeai-je d’un ton neutre, sans appel. Elle acquiesça d’un mouvement entendu et enchaîna : « First you have to understand how memory works, and what is it that we do. I must warn you though: we’ll have to know everything about you to complete the job successfully. We’re not the judgmental kind but you need to let yourself go. » Je passai machinalement une main dans mes cheveux pour faire semblant de les recoiffer, sentant immédiatement le gras envelopper mes doigts.
« Can I smoke in here? » demandai-je en sortant mon paquet de cigarettes sans même attendre la réponse. Elle fut plus rapide et, d’un coup de baguette, me le confisqua. « No, your body has to be as clean as possible. » Un nouveau grondement cynique émana du fond de ma gorge et elle haussa les sourcils, défiante : mon comportement l’agaçait, manifestement. « Right. » grommelai-je, moqueur. Ils sauraient bien assez tôt que ce corps n’en était un que par sa forme, et qu’à l’intérieur se battaient des démons, tous enfermés dans une même cage, faute de place. Ce corps qui, au fond, ne m’appartenait qu’à moitié : mes nombreux moments de faiblesse suppliaient le renard de refaire surface, lui qui puisait sa force dans son âme sauvage. Et malgré toutes ces années passées en homme, bipède corrompu à l’esprit fragile, à me comporter comme tel, à faire semblant d’y prendre goût, les douleurs restaient présentes.
Quelque chose en moi regrettait d’être revenu
Quelque chose en moi regardait cette existence et soufflait de fatigue
Quelque chose en moi était piégé dans ces forêts écossaises, quelques choses de plus que les souvenirs que j’avais perdus là-bas, que mon corps animal gardait scellé pour ne pas me rendre fou car la Nature était ainsi faite : en harmonie, disait-on.

« Memories are like trees, reprit finalement Olly d’une voix sage, There’re roots that become a trunk, and there’re branches that cannot survive without the trunk. See your strongest memories as the roots: those are the ones we’re gonna extract from your mind. By doing that, every memory directly connected to them will become passive. We put them to sleep. It means that they’ll still be there, but you won’t have access to them. » Elle souriait à présent calmement, ses mots distinctement prononcés comme savait le faire un professeur ou un médecin, et j’acquiesçai sans bruit, la magie environnante me forçant à rester concentré. « So for example, if you come across someone who’s in those memories, you will have a sense of déja-vu, as if you knew them from a dream, but that’s all. Of course they’ll recognize you, that’s why you have to be careful because if those memories are stimulated without their root, it can physically hurt. Keeping those memories inside is the only way for you not to lose your mind. » La gravité de ses paroles plana un instant entre nous mais elle le dissipa en un sourire entendu, m’invitant à poser les questions qui pouvaient me venir à l’esprit.
« What if what I’m trying to forget isn’t a person? » Elle humecta ses lèvres avec amusement, ce qui me laissait sceptique. « Bad memories are always connected to something, or more specifically someone. We’ve done this a lot of time, Eachan: people come here with an idea of what they want to forget but their mind decides for them. Don’t ask yourself: show us. » Sans attendre que je réagisse, elle apporta une théière d’un coup de baguette et sortit un parchemin d’un tiroir, sous le plan de travail. Un liquide chaud et familier se versa dans la tasse qui se trouvait toujours devant moi et elle fit rouler un stylo-plume de mon côté, me faisant signe de l’attraper avant qu’il ne tombe.
« We need you to sign your contract before we move further. Given the unofficial nature of our activities, a spell has been cast on this parchment so that we are safe to go. Only you can read it as it is written, others will have to know the secret magic words that reveal its content. Otherwise, this looks like a simple apple pie recipe. » Elle marqua une pause, me laissant réagir à propos de sa déclaration, mais seul mon regard froid l’accueillit, si bien qu’elle poursuivit : « Plus we need you to pay a fifty-percent deposit now, which means one hundred and fifty galleons. » Mes sourcils arqués compensèrent pour mon manque d’interaction et elle sourit avec satisfaction, maîtrisant son sujet avec tant d’habileté qu’elle se permit même un éclat narquois au fond des yeux. « Look, most people change their mind and give up at the last minute, when the job’s almost completed. We don’t want to work for nothing. » Je mordis nerveusement l’intérieur de ma lèvre et plissai des paupières d’un air suspicieux. You’re aware it’s completely illegal, right? J’étouffai un rire railleur dans un souffle résigné et effaçai le ton moralisateur de Belize de mon esprit pour hocher la tête d’un air entendu. L’argent, je l’avais. Je l’avais toujours eu pour les mauvaises choses. D’aucuns disaient qu’il n’était pas à moi. Les autres sourcillaient et ne voulaient pas savoir.
Eachan Faust. Employé du Ministère avec un nom de famille pareil, ça sent le détournement de fonds, n’est-ce pas ?
Mais je n’avais pas attendu de porter ce nom pour inspirer la méfiance. Je n’allais pas lui laisser toute la gloire.
L’ironie se logeait dans le fait que ces cent-cinquante premiers gallions lui appartenaient peut-être, puisés dans la somme qu’il avait fini par me concéder à l’issue d’une séparation trop difficile. S’était-il demandé si cet argent allait servir à me payer mes doses ? Et, si oui, s’en mordait-il les doigts six ans plus tard, avec la même nervosité que j’avais deviné cachée sous son costume soigné ?
Il pouvait souffler : j’arrivais encore à tromper les Moldus en changeant des serviettes jetables en billets de banque, et l’héroïne ne se vendait pas encore au Chemin de Traverse.
Je sortis du revers de ma veste une bourse et la jetai à Olly d’un geste désinvolte. « It’s bigger on the inside. » notai-je sans enthousiasme et elle le rangea dans la poche de son tablier, se passant de réagir à son tour.
« Now, let’s begin. You’ll have to drink this potion one more time and it’ll make you sleep for several hours, maybe a day or two. That way you’ll lose the notion of time and we’ll be able to work more easily. » Je baissai les yeux vers la tasse en porcelaine et compris enfin pourquoi son parfum ne m’était pas inconnu : j’en avais reçu un flacon quelques jours plus tôt, en vue de ce rendez-vous, avec pour consigne de le boire la veille. « Last time I drank that thing, I threw up and passed out right after. » indiquai-je d’une voix sombre. Belize m’avait donc retrouvé ainsi, le corps inerte, la respiration courte. Tu m’étonnes qu’il soit resté dormir. Olly me lança un regard conciliant avant de répondre : « It happens, sadly. But be sure that you’ll be safe in here. Our team will be taking care of you right after you walk out that door. » Elle m’indiqua la porte de sortie donnant sur le couloir lugubre et, après m’être tourné pour en observer les dormants à l’aspect humide, je rabattis mes prunelles sévères sur elle, lui demandant tacitement si nous en avions fini.
« One last thing, Eachan. Are you comfortable with the memory extraction spell? You can guess that it’ll be used on you during the procedure and your memories will be seen through a Pensieve. We have potions that can lessen the side-effects, including nausea and low blood pressure. » Je secouai la tête, souriant presque : « No, I’ll be fine. I know this one quite well. » Une lueur malicieuse courut le long de mes iris et mon regard ne lâcha pas le sien, l’incitant à vouloir me poser ces questions dont elle aurait vite la réponse. Ils n’étaient pas critiques mais ils étaient curieux, assez pour en apprendre sur toutes ces âmes qui traversaient le dédale de leurs corridors afin d’oublier les raisons qui les avaient poussés à venir jusque-là. L’ironie était bien présente, mais j’allais garder mes secrets jusqu’à ce qu’on me les prenne d’un coup de baguette magique, les voyant ainsi partagés à d’autres en plongeant dans la Pensine avec une grâce spirituelle et argentée.
Néanmoins Olly resta silencieuse et m’adressa un sourire doux où semblaient se refléter au loin tous les regrets que je ne devais pas avoir. J’attrapai le stylo-plume, signai le contrat sans le lire, puis pris la tasse encore chaude et la bus d’un trait, la reposant sans délicatesse sur le rebord de la table. Je me levai ensuite pour prendre congé et sortir de cette étrange cuisine, retrouvant derrière la porte mon guide qui m’indiqua le numéro d’une chambre comme celui d’une cellule, et les pas qui m’y menèrent furent chargés d’un sentiment aliénant, rendant le lieu hostile sans me laisser d’autre choix que de croire au fait que j’y avais ma place, tel un cadavre fraîchement enterré au cœur d'un cimetière.

(2018) Je me retournai dans le lit avec difficulté, le constant besoin de résister aux effets de la potion m’ayant gardé éveillé pendant plusieurs heures. J’inspirai lentement, la magie palpable dans l’air me prenant de nouveau à la gorge tel l’odeur du souffre et mes poumons me firent mal en expirant. Je m’attachais à d’étranges souvenirs de jeunesse, les repassant en boucle dans ma tête comme pour ne pas les perdre et déjà le doute s’installait quant à ma décision, quant à ma capacité de garder mon corps sain pendant le temps nécessaire à l’opération. Déjà le manque suintait de chaque pore de ma peau, me laissant à la fois furieux et indocile, mes doigts agrippant l’oreiller et finissant par en déchiffrer la taie car les griffes du renard venaient pousser à leur place plus je m’enfonçais dans un stade avancé de la démence. Mais la nausée restait la pire des sensations car Olly m’avait lancé un sort anti-vomitif avant de me conduire à ma chambre, prévenant d’un potentiel rejet similaire à la nuit précédente. J’étais condamné à ce que mes entrailles se tordent, essorant d’étranges images de nourriture que je ne pouvais chasser de mon esprit et qui, bien qu’elles eurent été appétissantes en temps normal, me retournaient l’estomac, encore et encore. Je grondai, les crocs serrés et mordant mes joues jusqu’au sang, puis fis basculer ma carcasse sur le côté, engouffrant mon index et mon majeur dans ma gorge pour me forcer à rendre : sans succès. La nausée ne fit que s’intensifier davantage et je poussai un râle rauque et agressif digne d’un prédateur blessé par balle et agonisant sur un territoire qui n’était pas le sien. Je finis par tomber sur le sol et m’y recroqueviller, la fraîcheur du carrelage contre ma tempe retenant mon attention durant une poignée de secondes, assez pour que les vertiges et la migraine cessent de marteler mon crâne mais mon ventre me tiraillait toujours autant, refermant comme des serres sur chacun de mes organes en rythmant ses effets de puissants haut-le-coeurs. Je voulais retrouver la force de me changer en animal, mais j’avais à peine celle de pouvoir me traîner jusqu’au centre de la pièce. Étrange, après tout, que mon esprit ait si vite oublié les conséquences d’un sevrage brutal. Je revoyais encore ma dernière prise clairement dans mon crâne, remontant à l’avant-veille entre les murs de mon appartement que le temps et l’hygiène douteuse avaient rendu sordide. Tout me paraissait plus sombre à l’heure actuelle, et plus particulièrement la pièce dans laquelle je me trouvais actuellement : vide, à l’exception d’un lit et d’un lavabo sans miroir, pas de fenêtre et une ampoule protégée par un sort qui m’empêchait d’en contrôler la lumière. Ils choisissaient. L’heure du réveil, celle du coucher, celle des repas, celles du jour et de la nuit, celle de la santé comme celle de la folie.
Et lorsqu’elle s’alluma vivement pour chasser l’obscurité, je ne pus dire s’il s’était passé une minute, une heure ou une infinité de jours à attendre que l’on vienne me tirer de ma torpeur : mes yeux s’ouvrirent sur mon enveloppe animale puisque j’avais manifestement réussi à me métamorphoser et je gisais péniblement contre la plinthe du mur opposé au lit défait. On ouvrit la porte et le raclement sec me fit penser à la geôle d’une prison alors que les souvenirs de mes interrogatoires de détenus à Azkaban refaisaient surface. Une ombre se découpait dans l’encadrement donnant sur le couloir : « Let’s go. »


CHAPTER 1, “how's that for chasing the dragon”
rabid days, get delighted. there's no one, i'm inside that house. there's no food, there is no light, there is no calling all the time inside my mind. there is no food, there is no no waiter each divine but they keep driving me out of line. because you don't no nothing, you don't know me so please don't judge until i'm freetheme


(1990) Les nuits ne semblaient jamais finir en leur compagnie. Ils narguaient le soleil en dévoilant leur main pleine d’atouts, traitant les plus chanceux de tricheurs sur un ton à la fois fier et menaçant : personne ne devait se trouver autre part qu’à sa place car chacun avait la sienne. La violence était partout : dans leurs sourires aussi bien que dans leurs coups. A mes lèvres s’accrocha une cigarette encore éteinte et je croisai mes jambes d’un air détendu en les observant depuis mon fauteuil solitaire. Cinq silhouettes, cinq façons de vivre, cinq façons de tuer.
Le premier, Armand, avait un charme né dans l’hybridation de la fortune et de l’éloquence. Il n’était pas là par hasard et ne manquait jamais une occasion pour le rappeler. La pureté de son sang bafouée trois générations plus tôt, il s’était vite fait une réputation dans les couloirs de Beauxbatons, ce qui le poussa vite à travailler pour sa famille véreuse, trafiquant un diplôme et s’inventant avocat, ce qu’il savait ma foi très bien jouer. Une noble cause que de défendre les monstres, presque trop idéale : les gallions qu’il glissait aux magistrats salissaient les mots sur lesquels il jurait à chaque audience, mais ce métier semblait redorer l’image du mensonge comme on faisait passer un morceau de verre pour un diamant brut.
Le second, d’ailleurs, était probablement le faussaire le plus doué de France : Firmin, se félicitant de porter un prénom si rare que j’avais encore tant de mal à prononcer. Sa qualité première : la minutie et le détail, ce qui le rendait tout aussi bon en confection de potions qu’en reproduction d’objets magiques et d’œuvres d’art. Ne jamais rien accepter qui venait de sa main, ou passait par celle-ci, nous garantissait la vie sauve : ses quarante années l’avaient rendu puissant et rancunier, ce qui ne faisait jamais bon ménage.
Le troisième, perle sicilienne à l’accent prononcé, tutoyait ses cadets comme ses aïeuls : Guido, la langue s’enroulant autour de chaque phrase et le ton enjoué qu’il gardait en embrassant comme en tabassant. L’Italie sanguine était contagieuse et il vivait au gré de ses émotions sagittales, une lame toujours cachée sous le pli de son manteau pour surprendre un sorcier trop confiant de ses pouvoirs. Je lui reconnaissais de nombreuses qualités, mais sa mauvaise foi constante venait en ternir chaque aspect, laissant toujours son interlocuteur dans un doute intenable : fallait-il le contredire ou s’écraser ? La réponse était simple, ne nécessitant pas de réflexion : il y avait des visages qui lui revenaient et d’autres moins, ecco.
Le quatrième, éphèbe aux yeux d’ange, se prénommait Oscar. Tout droit sorti du trottoir, il avait été recruté pour ses talents et, sans pousser l’analogie à son paroxysme, je me retrouvais parfois en lui plus que je ne l’aurais dû. Un autre animagus : une petite souris blanche aux yeux pourpres qui se faufilait partout. Même humain, il savait se montrer discret et gagnait la partie car l’adversaire le sous-estimait à chaque fois. Il avait le regard fou, pourtant, presque vorace. Je ne pouvais pas blâmer ceux qui avaient goûté à la misère de ne jamais plus vouloir dormir dehors, et quelque part en moi, j’aurais voulu qu’il soit épargné. Mais il était de ceux qui éliminaient sans regret car il avait déjà perdu l’honneur contre les pavés des rues parisiennes. Pourquoi se priver quand l’enfer l’attendait déjà ?
Le dernier, enfin, les dirigeait tous, leur intimant silencieusement les ordres sans que personne ne le sache. Claudius, soupirait chaque mur qu’il longeait avec morgue, les joues creusées par le temps alors qu’il n’était pas le plus âgé de la bande. Il riait peu et, bien qu’il fût probablement le plus antipathique des cinq comparses, j’appréciais la franchise de son regard lorsqu’il passait sur moi. Je l’avais cru legilimens les premiers mois mais ma nervosité ne m’ayant pas trahi, j’avais fini par avoir la confirmation du contraire. J'étais néanmoins certain que si ma vie s’achevait lors de cette mission, il en serait pour quelque chose.
« Oh, Melville, tu dors ? » La langue française avait toujours le don de me tirer de ma torpeur et je reconnus la voix d’Armand, entraînante et désireuse de me voir me joindre à eux pour la partie suivante, ce que je me forçai à faire en étirant mes bras jusqu’à en faire craquer mes os. Je détestais le poker, mais il fallait jouer le rôle jusqu’au bout puisque le bluff était devenu mon quotidien depuis à présent plus de six mois. Quand cela prendra-t-il fin ?
J’approchai une chaise d’un coup de baguette et y laissai retomber mon corps avec lourdeur : j’étais l’un des leurs à présent. Moi, Alistair Melville, contrebandier irlandais s’étant expatrié en France car on vendait mieux là où la clientèle pouvait acheter, et il fallait croire qu’au fil des années, la pègre magique avait sévi partout en France, cueillant les plus belles fleurs à la sortie de Beauxbatons pour ne jamais plus qu’elles ne fanent. Je m’étais fait ami d’une comtesse à l’influence puissante, parrainant un clan tout entier derrière ses sourires naturels : Albane D’Orléans, des veines à la sève aussi pure qu’une eau de montagne, dont les ancêtres s’étaient targués de nourrir leur pouvoir du sacrifice d’une Jeanne D’Arc immolée par les flammes, martyr et modèle pour des sorciers qui jusqu’alors n’avaient pas voulu prendre part aux conflits des Moldus. Si la pucelle était ou non l’une des leurs restait encore un mystère, mais tout mage friand d’histoires savait que les voix qu’elle entendait ne venait pas seulement d’hallucinations démentes. La ville d’Orléans, devenue un pèlerinage pour de nombreux sorciers français, témoignait d’un passé difficile et la famille de la jeune Albane avait su gagner en respect, parfois au prix d’inspirer la crainte.
Officiellement, disait-on.
Car derrière le rideau d’or se cachait une vérité plus froide dont la réputation précédait le nom : la Cour, l’un des réseaux mafieux basé à Paris, reprenait les codes d’une royauté française prisée par le gouvernement sorcier actuel, se félicitant avec ironie d’être ceux qui gangrénaient les figures de pouvoir en embrassant leurs phalanges où ils glissaient de lourdes bourses. Il s’agissait du clan le plus puissant de la pègre en France car le climat belliqueux et l’ascension des tensions internationales les laissaient uniquement bénéficiaires. Ils n’étaient loyaux qu’à eux-mêmes et la politique avait maintes fois prouvé que l’honneur n’avait pas sa place sur le chemin tortueux de l’ambition lorsque celle-ci naissait dans un cœur corrompu.
Et moi, Alistair Melville, j’en étais manifestement un. Assez pour m’être fait repérer par le Ministère de la Magie britannique qui attendit patiemment de m’attraper la main dans le sac. Cela finit par arriver, mais les jours passés à Azkaban eurent raison de ma mémoire : je n’étais plus rien. Ils tordirent mon esprit jusqu’à le faire avouer, le goût du Veritaserum encore chaud contre ma langue après leur départ. Ils tondirent mes cheveux pour qu’un autre prenne ma place : mon seul réconfort résidait dans l’espoir que ceux que l’on croyait du bon côté finirait à mes côtés un jour. Une orgie de détraqueurs vous attends de pieds fermes.
« Eh, ragazzo, wake up. » Le claquement des doigts de Guido me fit lever les yeux et je raffermis ma prise sur mes cartes pour les induire en erreur.
Mon nom est Eachan Reid, je suis un Auror écossais au service du Ministère de la Magie britannique et j’ai pour mission d’infiltrer la mafia française pour y éliminer certaines cibles, et l’une d’entre elles se trouve assise à cette table.
J’avais été formé sur le tas, mais suffisamment pour devenir bon à un simple jeu de cartes. Suffisamment pour apprendre un français rudimentaire digne de l’homme dont j’avais volé l’identité. Suffisamment pour imiter son accent dublinois que des Français distingués confondaient de toute évidence avec les relents d’Ecosse profonde qui tiraillaient ma gorge. Suffisamment pour savoir comment il aimait sa bière, ses femmes et ses victimes, suffisamment pour y prendre goût.
Mais jamais assez pour me méprendre et les semaines devenaient longues dans ce Paris hostile où tout avait à présent goût du polynectar que je prenais à chaque heure, puisant dans une flasque que je gardais pressée contre mon cœur, à l’abris dans une poche intérieure. Les traits de Melville, ravagés par l’alcool malgré seulement une trentaine d’années passées à fouler cette Terre, masquaient aisément cette étrange addiction et personne ne s’en était jamais formalisé. Alors j’en jouais.
« I raise you. » dis-je d’un air neutre en poussant une pile de gallions devant moi. Guido arqua un sourcil, me toisa pour sonder mon expression impassible et finit par se coucher d’un geste sec car rien ne venait troubler mes prunelles, et certainement pas l’ombre d’un doute. Je sentis sa colère surgir de manière impulsive lorsqu’il découvrit que j’avais bluffé. Les injures dans sa langue natale fusèrent et je baissai les yeux vers le tapis pour récolter mon butin.
« Arrêtons de jouer. Il est temps se calmer les nerfs. » La voix d’Armand épongeait la tension avec soin. Il rangea les cartes et le jeu d’un coup de baguette puis posa une mallette au centre de la table, l’air narquois.
Je sentis mes poils se hérisser de plaisir : voilà où se trouvait ma limite, où les règles imposées par le Ministère tendaient à se dissiper. Alistair Melville était un ivrogne, mais son vice d’addiction s’arrêtait là. Et si je trouvais un intérêt très superflu au sein d’une gorgée d’alcool, je m’étais découvert une passion pour l’usage récréatif de certaines substances dont les effets secondaires pouvaient échanger une réalité contre une autre, le temps d’un instant. En France, les goûts aristocrates avaient rendu le Felix Felicis très à la mode, mais la difficulté de s’en procurer s’était fait sentir en quelques semaines et il m’arrivait parfois de mettre mes insomnies sur le compte de ce manque. C’est si agréable, pourquoi devoir s’en passer ? La question paraissait légitime.
Ainsi je louchai sur la mallette d’Armand, comprenant qu’elle contenait la potion tant désirée. J’eus cependant du mal à cacher ma déception lorsqu’il l’ouvrit et que j’y découvris des sachets de poudre sombre, devinant une couleur brune très terne, loin de l’éclat doré si propre au Felix Felicis. « Messieurs, séchez vos larmes. Voilà devant vous la source intarissable de vos futures nuits d’extase. » Je levai vers lui un regard interrogateur, qu’il remarqua sans peine. Mais il était celui qui savait le mieux convaincre parmi nous tous et je le laissai poursuivre, une curiosité naissant au creux de ma poitrine. « Son nom : l’héroïne. Sa provenance : le monde moldu, dans ce qu’il a de plus créatif. N’ayez donc crainte, vos corps sorciers n’en tireront que les meilleurs effets. » Il souleva l’intérieur pour découvrir le double fond où étaient soigneusement placées des pailles à l’apparence rigide, à côté d’un rouleau d’aluminium. Il en coupa un morceau et déposa un peu de poudre dessus. L’aspect granuleux de la substance me sembla factice : « It looks like brown sugar. » Armand m’adressa un sourire plein d’assurance : « Precisely, mon cher Alistair. This is actually one of its many names. » D’un coup de baguette, il nous fit parvenir à chacun une paille et saisit la sienne avec précaution, la drogue lévitant à présent devant lui. « Do you know how muggles call the act of smoking it? » Une douce flamme apparut sous l’aluminium, faisant vite fumer l’héroïne et laissant échapper des volutes en spirales, tandis que je secouai la tête en jouant avec ma paille qui glissait entre mes doigts agiles. « Chasser le dragon. » conclut Armand d’un air satisfait, ne ratant jamais une occasion pour étaler ses anecdotes qu’il trouvait toujours cocasses et pleines d’esprit. How’s that for chasing the dragon, songeai-je alors en l’observant inspirer la première salve de fumée. Il laissa échapper un grognement ravi, son corps retombant contre le dossier de sa chaise avec une lourdeur que son air dissipé devait avoir pris pour le contraire. L’aluminium plana jusqu’à Oscar, qui l’imita sans la moindre hésitation, fixant ensuite le plafond dans l’attente des premiers effets. Claudius se servit, Firmin ensuite et Guido enfin, avant qu’il ne me le fasse passer d’un geste entraîné de la main. Je collai l’extrémité de ma paille dans ma narine et m’exécutai avec l’attente déceptive que l’on avait en goûtant pour la première fois un plat dont l’aspect nous avait repoussé jusqu’alors.
La minute qui suivit me parut durer une heure entière : j’observai mes camarades un à un dans le silence, cherchant les signes significatifs d’un effet quelconque. Mes doigts pianotaient nerveusement sur la table et je reposai la paille qui émit un son métallique contre le bois, comme celui d’une petite cloche. J’attrapai ma flasque de polynectar et la portai à mes lèvres par précaution. Mes premières consommations de Felix Felicis m’avaient empli d’appréhension à l’idée de ne pas contrôler ma couverture mais je réussissais à présent à dompter ma lucidité, ancrée dans la tolérance progressive d’un consommateur devenu régulier, tel le croissant de lumière toujours attaché à une lune plongée dans l’obscurité spatiale.
A chaque nouvelle substance de nouvelles craintes.
So did you or did you not hunt a dragon? I mean, like, really. I’m interested. Not talking about this brown sugar shit.
Guido rabattit sa tête entre ses épaules et éclata soudainement de rire en me fixant : « L’irlandese sta delirando. » siffla-t-il dans sa langue natale et, ne parlant pourtant pas un mot d’italien, j’en perçus le sens moqueur, ce qui lui valut un regard furibond de ma part. Mais bientôt, cela n’eut plus d’importance, et son sourire contamina mes lèvres sèches, me secouant d’une hilarité surprenante, propre à la drogue. Le Felix Felicis m’avait toujours fait réagir ainsi, euphorisant chaque parcelle de mon corps et la sublimant en joie immense couplée d’un besoin pressant de réaliser de grandes choses, de partir à la conquête d’un succès que la potion avait rendu possible.
L’héroïne, cependant, était différente. Elle était comme cette seconde définition du dictionnaire, celle qui ne semblait pas avoir de rapport avec la première mais qui était pourtant ce qui donnait tout le relief. What a shitty name, … heroin. Les regards se tournèrent vers moi et je compris que j’avais marmonné à haute voix. La drogue me rendait bavard et je plissai des yeux comme pour cacher la nature de mon âme, craignant d’en révéler trop par mégarde. Leur état, cependant, semblait comparable au mien et j’avais toujours la possibilité de mettre leurs soupçons sur le compte des opiacés. C’était dangereux. Ça en valait la peine.
Car les secondes qui suivirent s’étirèrent comme les précédentes, cette fois néanmoins avec une incomparable tendresse, comme si chaque respiration caressait mon corps meurtri, comme si mes douleurs physiques et morales s’expiaient les unes dans les autres pour ne laisser entrer en moi qu’un bien-être profond.
Les philosophes pouvaient ranger leurs plumes et leurs traités.
On venait de découvrir le bonheur à l’état brut et il se vendait au détail sur le trottoir à Paris, entre deux soirées mondaines

(2018) [...]

CHAPTER 2, “...”
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(1991) [...]

(1991-1995) [...]

(1995) [...]


Dernière édition par Ishikawa Ryuku le Jeu 13 Fév - 17:47, édité 13 fois
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MessageSujet: Re: (eachan reid)   (eachan reid) EmptyJeu 26 Sep - 2:48

(2018) Olly effectua quelques mouvements de la main et ses os craquèrent, retrouvant la liberté de ne pas être recourbés autour de sa plume qui grattait le parchemin depuis mon entrée dans la pièce. Je m’étais de nouveau habitué à l’odeur de l’ail et, alors que je ne retenais pas un nouveau bâillement d’ennui, elle releva la tête et me toisa de cette expression confiante qui n’avait pas quitté ses traits. « We’ll watch other memories from your time in France and we’ll work it out but it’s definitely a core of your problem, even though it happened more than twenty years ago. » Je haussai les épaules : « No shit, Sherlock. » Elle ne releva pas, probablement insensible à une référence du monde moldu, puis posa sa plume et but une gorgée du thé qui fumait à ses côtés et où mon regard s’était perdu durant les longues minutes de silence qui m’avaient accueilli en début de séance. « So, tell me how you actually escaped from this situation. I can guess that Claudius’ death didn’t stop them from looking for you. » Je restai silencieux un instant, rassemblant mes souvenirs pour former une réponse : « I disappeared. » Mon ton était grave, sans appel, et Olly attendit patiemment que je poursuive. « I couldn’t stay in France so I turned into a fox for a few days. Then I managed to get back to England but I was too afraid to turn back into my human form so I stayed that way. » Son regard interrogateur passa sur mon visage, m’invitant à donner davantage de précisions sans pour autant se parer d’insistance. Mais le temps avait passé et il m’était à présent possible de mettre des mots sur mes actes, aussi dévorants fussent-ils alors qu’ils me revenaient en mémoire. « I was madly paranoid, thinking that everyone was hunting me. As a fox, I was able to stay hidden. I traveled across the country and reached Scotland a few weeks later and somehow, I found myself at peace in the woods. I was freed from the Ministry and the mafia. But most of all, I was weaning myself off heroin. » Elle acquiesça et reprit ses notes avec attention avant de me relancer : « How long did you stay in Scotland? » Ses yeux rencontrèrent les miens alors qu’elle posait sa plume dans l’encrier, et elle se pencha en avant, croisant ses doigts sous son menton pour écouter ma réponse : « Four years. At some point I think I had lost every memory of me being human. The fear of getting caught just became a feeling of endless freedom from any responsibility. » Et vingt années avaient beau avoir passé sur ces instants sauvages, ils restaient cloîtrés dans chacun de mes mouvements, de l’éclat farouche logé dans mes prunelles sombres jusqu’à mes ongles longs, recourbés tels les griffes d’un prédateur et grattant la terre des forêts que j’avais désormais faites miennes. Pouvait-elle voir l’éclat roux de mon pelage luisant dans mes mèches noires ? Mon visage allongé à la silhouette animale et mes canines aiguisées que le tabac avait jaunies avec le temps ? Mes sursauts à chaque bruit sourd retentissant au loin ? Où se posait-elle encore la question de savoir où commençait la bête et où se terminait le camé en manque ? « Why did you come back? » La simplicité de sa question était naturelle et je m’y étais attendu depuis l’instant où j’avais posé un pied dans cette pièce. « Well, I’m asking myself this question everyday. Still haven’t found the answer. » Elle fronça de nouveau les sourcils, non satisfaite de ma conclusion. « I was shot by a hunter. Had a near death-experience that brought my primal instincts back and I turned back into my human form, probably because somehow, I wanted to die in the body I was born with. » Un sourire froid transparut sur mes lèvres, débordant d’un cynisme qui soulignait toujours si bien mes traits railleurs : « You’ll learn one day how ironical magic can be at times. » J’avais adopté un ton sentencieux, peut-être suffisant compte tenu du fait qu’Olly était une parfaite inconnue, mais j’avais eu ma part en matière de surprises jusqu’à me persuader que je m’y connaissais mieux que n’importe qui d’autre. « I was wearing the same stuff that I had four years before : my clothes, old needles, French francs, … and a portkey to New York. » Elle haussa les sourcils, sceptique : « A portkey? Still working four years after? » Je laissai échapper un rire moqueur : « Try six. » Je me raclai la gorge, portant un verre d’eau à mes lèvres car épuisé par mon récit : « I guess it’s time to tell you about my very first mission as a spy and how I saved Leviathan Faust’s life. »


CHAPTER 3, “just don't leave red hair everywhere”
our thing progresses, i call and you come through. blow all my friendships to sit in hell with you. but we're the greatest, they'll hang us in the louvre, down the back, but who cares, still the louvretheme


(1989) Le crépitement des flammes marquait le rythme de mes pensées éparses et j’approchai mes mains de la cheminée pour qu’elles réchauffent davantage. La chaleur se diffusa vite dans mon corps mais je gardai mon long manteau sur les épaules, conscient que ce fauteuil ne m’accueillerait pas plus d’une heure de plus. Mon corps recourbé vers l’avant se redressa finalement, mon dos venant toucher le dossier confortable et je croisai les jambes avec délicatesse, les yeux rivés sur la bûche embrasée. Le reste de la salle était plongée dans la pénombre et j’entendis au loin le bruit sourd d’un fracas sans en deviner la provenance. La soirée avait été fatigante : je m’étais essayé à deux cocktails créatifs dont les composants fusaient à travers mes veines, homogénéisant assez mon état d’ivresse actuelle pour redouter le lendemain matin. Je laissai aller ma tête vers l’arrière, jaugeant la hauteur du plafond et détaillant un point fixe afin d’éviter les nausées. En vain. Le feu, cependant, me berçait avec douceur et, bientôt, je sentis mes membres se détendre, mon rythme cardiaque assagi par le besoin de dormir et l’envie d’être seul.
Mais le claquement de la porte mit fin à mes espérances et je me redressai machinalement pour feindre une forme exemplaire. Je retins un bâillement entre mes dents, passant discrètement mes doigts sur mes yeux comme pour en chasser la brume et recoiffant mes épis afin d’avoir l’air naturel. J’époussetai le pli de mon pantalon et levai le regard lorsque la silhouette présente dans la pièce passa à mes côtés pour s’installer sur le siège voisin, s’y laissant tomber sans retenue, soulignant son attitude désinvolte par un soupir épuisé aux relents d’agacement. « What a boring night. » Je restai interdit, le silence comme unique protection face à son caractère imprévisible. L’attention de nouveau rivée sur les flammes, je savais qu’il n’attendait pas de réponse. Quel intérêt, de toute façon ? L’alcool rognait toujours l’articulation de mes mots, mon accent râpeux les martelant pour les rendre inaudibles même pour des oreilles averties, et il ne comprenait déjà pas la moitié de ce que je racontais lorsque j’étais sobre, fronçant les sourcils avec ce mépris qui soulignait ses traits d’un éclat presque navré pour le pauvre rustique que j’étais.
Demetrio Leviatán Faust Álvarez incarnait la ville mieux que personne et il lui suffisait d’un coup d’œil pour me rappeler d’où je venais et où j’allais probablement finir, car les gens comme lui en décidaient de nos jours. Enfant fougueux de l’immigration latine, il foulait les pavés new-yorkais comme le plancher de son appartement à la fin d’une fête, et tout ce qu’il touchait pouvait devenir or. Pouvait, car encore une fois, il avait le privilège d’en avoir le choix, laissant planer le doute d’un air arrogant propre à sa génération. Nous faisions partie de la même, apparemment, puisque les années qui nous séparaient se comptaient sur les doigts d’une main. Pourtant il épousait son statut d’aîné avec une grâce dédaigneuse, et chacune des erreurs qu’il pointait en moi creusait soigneusement nos différences. Mais même si son charisme parvenait à donner à tout le monde l’envie de lui ressembler, de vivre cette vie d’excès à sa place pour connaître le frisson de la mondanité, une lourde part de moi en était immunisée. Ces différences me convenaient plus qu’il ne voulait le croire, car c’était sa force de constamment frapper là où il fallait pour faire ployer l’adversaire. Fraîchement revenu de Castelobruxo avec son diplôme et son avenir brillant prêt à la consommation, le jeune Demetrio avait mis son génie indéniable et profondément agaçant au service de la médecine magique afin de prouver au monde qu’il pouvait à la fois blesser et guérir, et que l’un n’allait jamais sans l’autre. Peut-être qu’il s’agissait simplement d’un miroir trouble où le bien et le mal se confondaient avec souplesse : une chose était sûre, il ne manquait pas de glaces où s’admirer dans l’appartement du jeune médicomage, et il laissait ses multiples reflets parler à sa place pour rester inaccessible. Le masque le plus visible était peint à même son être, son premier nom tombé à la frontière américaine et le second anglicisé par souci d’assimilation. Demetrio Álvarez dansait avec Leviathan Faust une ronde interminable afin de rendre son identité confuse à quiconque voudrait en dépasser les bords polis par l’océan des apparences, mais j’en voyais l’écume plus naturelle lécher ses mimiques cinglantes une fois la journée finie, une fois la nuit passée, comme s’il existait une heure bâtarde durant laquelle il s’octroyait le droit d’être lui-même, peut-être une fois par mois.
Et cet instant n’était pas celui dans lequel j’étais piégé : Leviathan se racla la gorge, me jetant un regard en coin avant de se rappeler qu’il se moquait éperdument de ce que je pouvais bien avoir à dire. What a boring night, disait-il après avoir ri avec la ville entière, son enthousiasme bourgeois décuplé par le regard que lui portait le reste du monde lorsqu’il entrait dans une pièce. Deux possibilités : ou bien il mentait pour se montrer suffisant en ma présence, ou bien il disait la vérité, et son ton désabusé ne pouvait ainsi pas cacher la sensation que j’avais vite eu à son égard à mesure qu’il m’avait accepté dans son cercle : il n’y avait que les esseulés pour feindre autant de sourires au-delà du rideau du crépuscule. Leviathan était toujours accompagné, mais se pouvait-il qu’il soit un homme seul, confronté à son infinie intelligence, celle-là même qui repoussait les autres loin de lui quand il se persuadait de se hisser au-dessus de tous ?
Etrange, après tout, que le Ministère de la Magie m’eût ordonné de venir jusqu’aux Etats-Unis pour suivre cet individu : en dépit de son caractère qu’il poussait volontairement ou non à l’extrême, et malgré son attirance pour toutes ces choses qui se trouvaient dans l’écart presqu’irréel entre le permis et l’interdit, Leviathan Faust était un homme qui voulait dévouer sa vie à la science, et donc à l’amélioration des conditions de vie des autres puisqu’il avait déjà probablement soigné plus de personnes que je ne pouvais en compter dans mon répertoire. Il faisait certes quelques détours par de louches ruelles de temps à autres mais son objectif restait louable : il souhaitait manifestement devenir directeur d’hôpital et l’Amérique monnayait ses soins comme n’importe quelle marchandise, alors le jeune médicomage s’était fait bon politicien lors de ses sorties mondaines, car il fallait rendre la santé attractive dans un monde gouverné par la luxure et les excès, sous couvert de puritanisme.
« Be right back. » marmonnai-je en me hissant sur mes pieds, une cigarette plantée entre les lèvres. Leviathan détestait l’odeur du tabac, et j’avais besoin d’être seul, loin de ses jugements silencieux et de ses expressions maniérées. S’il ne l’avait pas déjà devinée, ma démarche finit de trahir mon ivresse et je m’accrochai à un relief du mur, y prenant appui pour ouvrir la baie vitrée. Le vent s’engouffra dans la pièce, dansa avec les flammes et hérissa mon échine animale : le renard me manquait. J’avais passé tant de semaines à m’y faire dans les jardins de Poudlard une fois mon apprentissage terminé que New York ressemblait plus à une prison qu’autre chose. Peut-être un bal masqué, mon visage humain me paraissant sinistre face à l’éclat soyeux de ma fourrure rousse. En renard, j’étais moi-même, j’étais cette magie orpheline que personne ne pouvait expliquer, née de l’union commune de deux êtres ordinaires. Un sentiment naïf me forçait à croire que l’amour l’avait engendrée, avec la simplicité dont se paraient d’ordinaire les miracles. Néanmoins le mystère enroberait à jamais cette origine, et c’est là que je puisais ma force.
Celle-là même qui m’avait protégé face aux insultes et aux rejets.
Celle-là même qui avait éveillé le renard, preuve ultime de mon appartenance à un monde qui n’avait jamais semblé vouloir de moi.
Celle-là même que je savais fragile malgré tout, ce que paraissaient ignorer ceux qui m’avaient envoyé jusqu’ici.
La désinvolture et le ton supérieur des Aurors du Ministère anglais me laissaient de marbre : cela faisait bientôt deux mois que j’étais en mission et Leviathan s’était fait un malin plaisir de m’inclure dans son existence, se vantant presque sur la place publique d’être assez spécial pour mériter d’être surveillé par un gouvernement étranger. En réalité, mes collègues recrutés et moi-même avions chacun été assignés à un individu qui s’apparentait de près ou de loin à des activités suspectes, et la proximité de la famille Faust avec le bloc communiste attirait l’attention. Amusant, après tout, que je sois tombé sur Leviathan pour des raisons de possibles liens avec les branches magiques de la dictature soviétique, car avant lui, j’avais toujours eu beaucoup de mal à imaginer l’incarnation d’un rêve américain consumériste, moi qui m’étais toujours contenté d’un peu nécessaire et suffisant, mon cœur battant au rythme profond des lacs écossais qui m’avaient vu naître. Ayant pourtant signifié aux Anglais que le jeune diplômé n’était pas une grande menace dans le conflit actuel, sans mentionner cependant le fait que la mission d’espionnage était en réalité devenue celle de garde rapprochée, quand ce n’était pas celle de chauffeur privé ou de faire-valoir attitré depuis que Leviathan m’avait signifié d’une façon qu’il me faudrait taire à tout jamais qu’il avait conscience de ma présence depuis le premier jour et qu’il ne s’en formaliserait pas car après tout, pour reprendre ses expressions familières, le plus beau cul de l’Amérique méritait bien une telle attention. Le débat restait ouvert mais il savait s’entourer de partisans.
J’allumai ma cigarette sur cette pensée et souris, les yeux à présent plongés vers le vide que m’offrait ce balcon situé au dernier étage de l’une des tours de Manhattan, surplombant les rues qui jacassaient au loin sans jamais songer à s’endormir. Je plissai des paupières, apercevant le Queens à travers le brouillard, là où se trouvait la piaule lugubre vers laquelle je naviguais naturellement lorsque j’étais seul et soulagé d’être autre chose que l’ombre qui suivait Leviathan partout. J’avais pourtant eu l’habitude d’être relayé au second rang, mais le jeune homme avait la fâcheuse tendance de stimuler l’ego des autres, ses sourires contagieux comme des maladies rares et ses coups, pourtant toujours verbaux, aussi secs et cinglants que ceux d’un fouet manié avec adresse. Il était tout et rien à la fois, son esprit vif débordant de ses yeux sans qu’il n’en coule jamais la moindre larme mais son attitude célébrant les débordements dionysiaques d’un homme à qui on avait dit qu’il pouvait tout obtenir – et ce n’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd, car Leviathan entendait tout et répliquait aussi vite, arrachant les derniers mots comme un guerrier reprenait ses flèches des corps de ses victimes sur un champ de bataille silencieux. J’allais y passer un jour, essuyant son indifférence blessante d’un revers d’amour-propre et serrant les dents à l’idée d’y être sensible, moi qui m’étais toujours targué de répondre au mépris par son reflet, le dédain soigné de ceux qui n’ont jamais eu rien à perdre.
Cependant Leviathan contournait ces acquis avec la fluidité d’un poisson glissant dans un courant marin : toutes les facettes éparses de sa personnalité étaient cimentées par un charme irrésistible, celui qui donnait envie d’être le centre de son attention narquoise, d’être le sujet de ses mots sagittaux, d’être le fond de ses pensées moqueuses, d’être ainsi ne serait-ce qu’un éclat de son existence si singulière car il arrivait à nous faire croire qu’elle lui faisait connaître le goût des nuages et le parfum du soleil. Il mentait, de toute évidence, car Leviathan Faust n’était pas un dieu, et pourtant il avait eu le génie de nous pousser à le croire, afin de pouvoir aspirer à quelque chose qui paraissait réel au milieu du brouillard.
This building’s fucking high.
La fin de ma cigarette entraîna un vertige qui me donna la nausée. Je raffermis mon poing sur la rambarde mais je sentis mes jambes flageolantes trembler sous mon poids. J’inspirai profondément pour rester en place : deux cocktails seulement, mais des effets qui agissaient en décalage pour me laisser de mauvaises surprises. Concentrant mes dernières forces, je jurai de ne plus boire le moindre mélange issu d’une soirée où j’allais suivre mon aîné, mais ces promesses s’échappaient toujours lorsqu’elles étaient si proches du vide.
« Can’t hold your liquor? » Ma mâchoire crissa sous la pression de l’émail et je restai muet, conscient que s’il voulait jouer à celui qui tiendrait le mieux cette joute verbale, je pouvais dès à présent déclarer forfait. Leave me the fuck alone, sembla lui signifier ma silhouette immobile. A l’instar des fois précédentes, je priais pour l’arrivée d’une lettre du Vieux Monde me demandant de rentrer au bercail, mais ces dernières tardaient manifestement à s’écrire.
Et paradoxalement, le vœu inavoué d’avoir son attention se réalisait dans de pareils instants, néanmoins j’étais incapable de les saisir car son assurance me fascinait jusqu’aux portes de la terreur, me laissant vulnérable et assez terre-à-terre pour passer à côté d’une énième plaisanterie lubrique de sa part.
Of course he’d be the best sex you’d ever have.
Cette pensée fuyante résumait tout : je pouvais philosopher sur ma situation durant les jours qui allaient me séparer de la fin de ma mission, je restais un gamin de vingt ans au visage froid et émacié qui n’avait comme repère qu’un génie trouble et captivant, enchanteur au sang urbain et magnétique qui ne semblait avoir pour but que de séduire les autres à ses causes pour mieux les contredire ensuite. Il me plaisait justement parce que nous n’avions rien en commun, ni notre tempérament, ni nos intérêts, ni nos vocations, ni nos valeurs. Je gardais le silence à chaque fois, étouffant le bourgeon émotif entre mes côtes hybrides car Leviathan était ainsi avec tout le monde et que je refusais un jour de lire dans son regard le mépris d’un homme inaccessible pour l’écho des sentiments risibles que j’aurais pu avoir à son égard. Leave me the fuck alone. Je souffrais mieux seul, voilà peut-être l’unique trait de caractère que nous partagions, et je chassai d’ores et déjà possibilité qu’il s’en rende compte ou qu’il s’en confesse puisque je savais que c’était perdu d’avance.
« Here. Take this. » Il claqua des doigts, sa magie rassemblant mes esprits à distance, me forçant à me tourner vers lui. Il me lança une fiole pleine et j’eus le réflexe miraculeux de l’attraper au vol avant qu’elle ne passe par-dessus la rambarde. « Home-made and organic. » indiqua-t-il d’un ton ironique. Je devinai à l’odeur qu’il s’agissait d’une potion de dégrisement, avant d’y voir le fruit d’une prévenance rare de la part du sorcier. Il croisa les bras et appuya son épaule dans l’encadrement de la porte, le menton légèrement levé témoignant de sa suffisance omniprésente. « Thanks. » balbutiai-je avant d’avaler le contenu du flacon, le serrant entre mes paumes sans oser le déposer nulle part. « I think I’m gonna go now. It’s getting late. » Il allait bien me falloir une demi-heure d’assimilation du breuvage pour contrôler mon transplanage et Leviathan s’en doutait. Il arqua un sourcil dédaigneux et secoua la tête : « You can stay here. There’s an empty room upstairs. I’m tired of smelling the cheapness of your clothes every time you spend the night in Queens. » Il me toisa d’un air éteint avant d’ajouter : « Just don’t leave red hair everywhere. » Il disparut dans le clair-obscur du salon et ne me laissa pas répondre, ni même le remercier simplement pour sa générosité que d’aucuns aurait trouvé surprenante et que je m’apprêtai à considérer comme telle avant de me rappeler qu’elle n’était pas si singulière : après tout, il était médecin, et une dévotion scientifique en restait une malgré tout, même sans l’éclat candide d’un altruisme profond car il était clair que Leviathan vivait pour lui-même. Cependant il se cachait un mystère dans l’ombre de ses lapsus et de ses actes manqués qui n’échappait pas à mes yeux vulpins, si bien que je finissais par croire que cet homme symbolisait le don de soi, celui à travers lequel on se laissait dépecer par un public avide, quitte à être condamné à correspondre à ce que les autres souhaitaient que l’on devienne, sans jamais parvenir à s’incarner véritablement soi-même en acceptant d’embrasser sa nature profonde et immaculée.

(1989) J'ouvris les yeux. Je crus un instant être devenu aveugle mais je me forçai à ne pas refermer les paupières pour m'habituer à la pénombre. J'ignorais l'heure qu'il était et je voulus relever la tête pour observer ma montre, cependant une douleur sans précédent traversa ma mâchoire. Petit à petit, ma mémoire se reconstruisit et retrouva un ordre certain des événements récents. Je parvins à rouler sur le dos en poussant un râle sombre et sauvage, constatant que j'avais repris forme humaine mais ne me rappelant pas l'instant où cela s'était produit. Je plaquai mes mains contre le sol et poussai dessus pour parvenir à me redresser. Mes gencives me brûlaient terriblement et je portai une paume tremblante à mes lèvres, le bout de mes doigts s'humidifiant soudain. J'y jetai un coup d’œil furtif : du sang coulait de ma bouche par longs filets que le col de ma chemise épongeait avec peine. Le rouge avait dessiné comme les rayons d'un soleil écarlate autour de mon cou et quelques gouttes avaient perlé jusqu'à mon ventre. J'essuyai du dos de ma main mon menton, conscient qu’une partie de mes joues était également recouverte car la sensation collante du liquide vermeille séché contre la peau était reconnaissable entre mille. Je m'accroupis et me relevai tant bien que mal pour pouvoir observer ce qui m'entourait : une lumière inhabituelle éclairait la pièce où je me trouvais et bientôt, les nuages de poussière se mêlèrent au ciel qui s'étendait au-dessus de moi. Je m'avançai sur le parquet, hésitant, les jambes alourdies par le poids de mon corps à moitié mort, mais je m'arrêtai lorsque les planches devant moi ne semblèrent pas se poursuivre. L'odeur asphyxiante de la fumée emplit mes poumons fragiles et je compris qu'une partie de l'endroit où je me tenais venait d'être réduite en cendres. Je crachai d'un air morose sur le parterre calciné, le décorant ainsi de ma salive pourpre au goût de rouille. Arrivé au bord de la ruine, je pus observer en bas une foule de personnes qui s'était amassée autour de l'immeuble. Moldus ou sorciers, je l'ignorais et cela n'avait aucune espèce d'importance. Je fis demi-tour et claudiquai jusqu'à l'extrémité de la pièce.
« Lumos » prononçai-je dans un souffle épuisé après avoir sorti ma baguette de la poche de ma veste.
Le corps inerte de Leviathan apparut sous mes yeux à mesure que la lumière éclairait les détails de la scène qui s’était déroulée devant moi. Je plongeai peu à peu dans la réminiscence et pus entendre le brouhaha et les cris des passants terrifiés. Je m’agenouillai aux côtés du sorcier inconscient et vérifiai rapidement si son pouls battait toujours, ce qui était le cas. Poussant un soupir de soulagement en le constatant, je me redressai et pointai ma baguette dans sa direction pour le soulever et le porter jusqu’à son lit. Il grogna lorsque je plaçai la couverture sur ses épaules. Je pris le temps de m’assurer qu’il n’avait pas froid, la peau brûlante de son front m’indiquant que non, avant de me transformer en renard et de gagner la salle de bain. Je savais que nous ne pouvions pas rester là mais le sommeil lourd dans lequel Levi était plongé me laissait sceptique quant à la possibilité de transplaner. Je grimpai agilement sur le rebord de la baignoire et poussai la manette du robinet pour l'ouvrir et en approcher mon museau ensanglanté. Mes griffes raclèrent la porcelaine de l'évier et l'eau qui y coula rougit en passant sur mes plaies. Retrouver mon corps humain avait étiré les blessures infligées, ce qui me brûlait d'autant plus, et retrouver mon enveloppe animale me soulageait étrangement. Je pouvais contenir ma peine plus longtemps et garder ainsi un peu plus d'endurance pour la suite. Je me rappelai la chaleur étouffante que j'avais ressentie en attrapant la cause de ce désastre entre mes crocs. Leviathan, encore une fois, s'était montré aussi téméraire que l’enfant-roi dont il savait si bien jouer le rôle. Son insolence avait eu raison de lui et cela se lisait sur les traits figés et moribonds que son visage présentait, même inconscient. Le Kanyahte'Ka'Nowa, ou hochet-tortue, avait soi-disant le pouvoir de faire trembler les montagnes, reprenant ainsi les vieilles légendes amérindiennes d’un monde juché sur la carapace d’un reptile avançant dans les étoiles. La puissance de ces reliques entraînait généralement leur conservation à l'abri d'une quelconque utilisation mais certaines s'étaient perdues en route, notamment celles qui n'avaient pas quitté leur village d'origine jusqu'au pillage de ces derniers par des mages aux intentions douteuses. C’était manifestement le cas de celle qui s'était retrouvée dans les mains de Leviathan. J'avais su qu'il manigançait quelque chose assez vite : je reconnaissais toujours la lueur fébrile qui scintillait dans son regard sombre et le tremblement significatif de ses mains, trahissant l’excitation de travailler sur un projet palpitant. Mais cette dernière allait de pair avec sa profonde insouciance, celle-là même l’ayant piégé par son pouvoir qui attirait autant qu’il pouvait trahir. L'objet, réveillé par de dangereuses formules et tenu imprudemment à mains nues, lui avait aspiré une partie de son énergie vitale, comme un éclair frappant une âme dressée au milieu d’un champ désert. Alerté par le fracas, je m'étais précipité à la porte de son laboratoire mais le temps m’avait échappé car j’avais dû trouver le moyen de contrecarrer la protection placée à l’entrée. Les images du hochet-tortue brillant d'une lumière aveuglante à quelques pas de ce que j'avais pris pour le cadavre du jeune Faust me revenaient à présent nettement en tête, et je me rappelai l’avoir attrapé entre mes crocs, ce souvenir s’accompagnant de la sensation terrible d’avoir tenu dans ma gueule des braises ardentes gonflant ma mâchoire de cloques douloureuses. L’objet, lancé à travers la pièce, n’avait cependant pas retenu son énergie et j’en contemplai à présent les dégâts, mon regard ambré froncé vers les débris qui tapissaient le carrelage.
La fraîcheur de l'eau calma mes brûlures, mais je n'eus pas le temps de m'attarder sur les détails car déjà j'entendis les membres d'une autorité quelconque – magique ou moldue – défoncer la porte d'entrée de l'appartement pour constater les dommage et s'assurer que personne n'était mort dans l'explosion. Des connexions surgirent dans mon esprit et je sus qu'il fallait s'échapper au plus vite. Je regagnai la chambre de Leviathan, me transformai en homme et le redressai en chassant la couverture de sa poitrine, ignorant les grognements qu'il émit, même évanoui, pour manifester la douleur que ces mouvements brusques infligeaient à ses muscles ankylosés.
« Sorry mate, you’re not gonna like it but it’s necessary. » grommelai-je avant de disparaître, l'emportant avec moi.
Nous arrivâmes à l'appartement que le Ministère m’avait attribué pour les mois que j'allais passer à New York mais que je n'utilisais plus depuis déjà plusieurs semaines puisque Levi m'avait accueilli chez lui avec cet altruisme faux et nonchalant qui le caractérisait tant : il n'avait pas cherché à me faciliter particulièrement la tâche en m'invitant à habiter à ses côtés, ni à rendre ma vie plus confortable, mais au contraire il gardait ainsi constamment un œil sur ce que je faisais et avait le loisir de passer ses nerfs sur quelqu'un dès qu'il en avait l'occasion. J’omettais les fois où il s'était simplement moqué de moi pour se divertir. Il était impossible pour moi de comprendre la place que j’occupais dans son esprit, ni d'ailleurs si j'en avais réellement une ou si selon lui j'existais à moitié lorsque je me retrouvais seul à ses côtés. Il se recroquevilla et j'essuyai avec le bout de ma manche la salive ensanglantée qui perlait de ses lèvres, le transplanage ayant eu un effet négatif sur son organisme déjà faible, comme prévu.
« Have you actually thought about the fact that between us two, you’re the mediwizard? You son of a bitch.» fulminai-je à son attention, impuissant.
Je lui en voulais. Terriblement. Parce qu'il m'avait certes traité d'une étrange façon, faisant de moi à la fois son proche confident et son bouc émissaire, mais qu’il avait été la première personne à me prendre en considération même si je ne connaissais pas bien mon rôle dans son histoire. Je m'étais alors attaché à son caractère et ses manies grandiloquentes, son regard vif et ses piques sarcastiques, me demandant comment on pouvait être aussi cynique à son âge alors qu'il ne connaissait manifestement rien à la vraie vie, celle que les véritables cyniques critiquaient avec tant d'amertume en jouant avec comme un chat face à une pelote de laine. Non, il ne connaissait rien de la valeur de cette vie, la tenant du bout des doigts au-dessus du précipice. Il ne connaissait rien de la valeur de cette vie qui ployait sous son regard de conquérant, éminent scientifique en devenir qui se permettait de briser des codes incassables, ou du moins le croyait-il naïvement. Il ne connaissait rien de la valeur de cette vie et je voulais la lui rappeler ce soir mais j'avais peur qu'il ne soit trop tard. Je l'installai dans mon petit lit et allumai la lampe de chevet qui éclaira la pièce d'une lumière douce et tamisée par l'abat-jour blanc-cassé qui couronnait sobrement l'appareil. Je passai un chiffon d'eau sur son front brûlant et ses mains qui finirent par se détendre puis cherchai dans mes papiers des recettes pour des potions ou des onguents qui lui permettraient d'aller mieux avant de me rendre à l'évidence : il avait besoin de l'aide d'un professionnel. Je n’avais même plus d’essence de Murlap pour soigner mes propres blessures. Je finis par m’asseoir sur le sol, non loin de lui, et m’endormir ainsi bercé par les sifflements de sa respiration difficile, épuisé par les récentes péripéties.
J’ouvris les yeux. Leviathan m’observait, installé en tailleur sur les draps, les cheveux ébouriffés par le sommeil agité dans lequel la relique l’avait plongé. Je me redressai avec peine et m’adossai au mur pour retrouver un peu de contenance mais serrai les dents car la douleur de mes plaies s’éveillait de nouveau, oscillant au rythme de mon existence. Je voulais qu’il parle. Je voulais qu’il s’excuse. Je voulais qu’il reconnaisse qu’il avait eu tort. Cependant la lueur qui siégeait dans ses prunelles opaques m’indiquait d’avance qu’il ne ferait rien de tout cela.
« I was right to ask you to move in with me. This place’s a real shithole. »
J’inspirai lentement pour garder mon calme tandis qu’il poursuivait son discours qui sonnait déjà faux à mes oreilles.
« Where is the Kanyahte'Ka'Nowa? »
Je haussai les sourcils, presque surpris qu’il soit aussi direct, aussi intransigeant et pragmatique, se moquant du reste alors qu’il n’y avait que ça dorénavant, le reste.
Et Levi, tu sais ce que c’est, ce reste. C’est tout ce qui n’a aucune importance à tes yeux et qui devient l’océan au milieu duquel émerge ton îlot de cécité, celui qui te rend inconscient et irresponsable, celui qui te fait oublier les conséquences de tes actes. Prépare-toi à la noyade.

Son air supérieur et sa mauvaise humeur court-circuitèrent ma raison si bien que je bandai mes muscles pour me relever et m’élancer dans sa direction. En sautant, je révélai le renard et mes pattes avant le percutèrent de plein fouet, le projetant en arrière avec toute la force que la colère était capable de générer en moi. Le poids de mon corps sur sa poitrine l’empêcha de bouger et, pour la première fois depuis notre rencontre, je lus de la peur sur son visage, née d’un profond étonnement face à ma réaction. Je l’avais sauvé, je pouvais le tuer si j’en avais envie et il comprenait enfin que je n’étais pas une ombre sur le tableau de son existence mais bien une toile parallèle à la sienne dont les détails et les teintes témoignaient d’une profonde violence qui m’avait ramené à l’état sauvage. Il savait que j’étais un Animagus depuis qu’il connaissait mon nom, ayant immédiatement fait des recherches à mon sujet pour ne pas laisser entrer dans sa vie un parfait inconnu. Mais, jusqu’à cet instant, cela n’avait été qu’une mention sur mon dossier. A présent, il lisait la rage intérieure qui m’animait sur mes crocs luisants, le sang de mes blessures parfumant mon haleine de rouille et de carnage. Je le détestais. Et j’aboyai pour lui faire comprendre, incapable de prononcer le moindre mot sous ma forme canine.
Et il le comprit comme il n’avait jamais compris un sentiment humain auparavant.
Il le comprit, tendant ses muscles qui le tiraillaient tant qu’il poussa un gémissement de douleur, mais je fis abstraction de tout ce qu’il pouvait ressentir le temps d’une poignée de secondes, assez pour lui montrer ce qu’il faisait aux autres, perpétuellement.
Il le comprit et se racla la gorge afin de trouver le courage ainsi que la force de me parler :
« I know what you want from me, Eachan. »
Ma poitrine se soulevait au rythme de ma respiration et mon souffle sonnait comme un vent funéraire en glissant sur son visage.
« But if I gave it to you, I wouldn’t be the jerk everyone thinks I am. »
Ses lèvres s’étaient étirées en un mince sourire narquois, habillant son regard plissé d’une faible lueur nommée sarcasme. J’avais besoin de ses excuses et je n’avais qu’à mordre son épaule de toutes mes forces pour le forcer à les prononcer. Je n’avais qu’à lui faire du mal et secouer moi-même sa langue contre ses dents afin de l’entendre siffler une once de regret. Je n’avais qu’à l’obliger à me donner ce que j’attendais de lui et ce qu’il était si réticent à laisser paraître dans son esprit. Voilà que les euphémismes lui sauveraient sa peau de mes griffes acérées. Je le détestais.
Je repris forme humaine brusquement, agenouillé sur lui, les yeux bordés de larmes. Et je n’hésitai pas une seconde de plus, serrant le poing et l’écrasant violemment contre sa joue brûlante. Il ne tint pas le choc et s’évanouit, son nez faisant éclater des bulles de sang à chaque fois qu’il expirait. Je me relevai, le poing toujours fermé, cherchant à trouver ma place devant son corps de nouveau immobile et couché sur le lit d’un inconnu. Car après tout, n’étais-je pas qu’un inconnu de plus dans sa vie ? Cela me surprenait qu’il se soit souvenu de mon prénom.
Je n’y trouvai pas ma place et titubai jusqu’à la porte de sortie, gagnant la rue enneigée et m’enfonçant dans le clair-obscur vespéral de Manhattan en tentant d’oublier en vain ce connard de Levi qui venait de me persuader grâce à un unique sourire frémissant qu’il valait mieux qu’il reste lui-même, car sinon il n’aurait pas été si attachant, car sinon je n’aurais peut-être pas risqué ma vie pour sauver la sienne.


Dernière édition par Ishikawa Ryuku le Ven 21 Fév - 17:09, édité 6 fois
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MessageSujet: Re: (eachan reid)   (eachan reid) EmptyVen 27 Sep - 14:20

CHAPTER 4, “it just happened and it felt like i was getting my fix”
i can't escape it. never gonna make it out of this in time. i guess that's just fine, i'm not there quite yet. my thoughts, such a mess, like a little boy, what you running for? run at the door: anyone home? have I lost it all? struck me like a chord, i'm an ugly boy. holding out the night, lonely after light. you begged me not to go, sinking like a stone, use me like an oar and get yourself to shoretheme


tw - mort, deuil

(1997) « Eachan, wake up! » Le murmure insistant s’égara dans mon esprit et mes paupières lourdes eurent tout le mal du monde à s’ouvrir.
I know this voice.
Je priai pour l’entendre de nouveau, ma respiration s’accélérant alors que ma nervosité gagnait du terrain à mesure que je reprenais conscience. Je sentis des mains encadrer mon visage, leurs doigts froids se poser sur mes tempes avec douceur et un souffle familier glisser contre mes traits ravagés par des journées entières passées en captivité. « Stay with me. We’re here to get you out. » Je grognai à son attention, mes muscles tentant vainement de manifester la présence de ma volonté mais le poids des sortilèges que l’on m’avait quotidiennement infligés se faisait ressentir, m’harnachant au matelas de ma cellule comme une branche au tronc d’un arbre mort. « I know it’s hard, but you have to fight it. » Mes lèvres s’entrouvrirent, ma salive mousseuse débordant de mes crocs pour venir s’accrocher à ma barbe négligée.
No. No. Don’t tell me you’re here.
Of all people, why you?

Mon esprit brumeux attrapa les souvenirs au vol et je gémis, les mouvements anxieux que j’esquissais martelant mon crâne d’une pénible migraine. Mes yeux parvinrent à rester entrouverts et le profil de la jeune femme se marqua d’une netteté progressive, son regard brillant se plissant de joie alors qu’elle me voyait revenir à moi-même. Ce ne fut pas son nom qui retrouva le chemin de mes pensées, mais bien ce sentiment qu’elle savait si bien transmettre : une application farouche à vouloir sauver les autres, tous les autres, même ceux qui n’en valaient pas la peine, et le temps se suspendait toujours lors de ces instants fugaces où elle se consacrait entièrement à cette tâche dont elle s’était elle-même chargée par son altruisme sans borne. Mes phalanges s’agrippèrent à ses membres et mes prunelles s’emplirent de larmes, les laissant perler entre mes cils pour glisser sur mes joues blafardes. Go away. I beg you. Elle sourit, cherchant à rendre son espoir contagieux tandis que je voyais à quel point elle retenait son cœur de ressentir autre chose que le besoin de me savoir en sécurité. I don’t deserve this. Go away while there’s still time. Comment parvenait-elle à vouloir me donner une chance après toutes mes erreurs ? Comment arrivait-elle à me faire croire que j’en avais une, simplement par sa présence entre ces murs délabrés ? Les muscles de mon visage se tendirent subitement et je me laissai aller à la douleur, poussant un râle réprobateur : « What th-the…, balbutiai-je à mi-voix, what the fuck are you d-doin’ here? » Elle avait déjà répondu mais ma surprise prenait le pas sur ma raison, comme à mon habitude. Elle laissa un rire cristallin résonner dans mes oreilles avant de me répondre, consciente qu’il s’agissait là du seul moyen de me garder auprès d’elle : « I told you: we came to save you. » chuchota-t-elle en caressant mon front brûlant avec une incomparable tendresse. Je toussai, laissant du sang s’échapper du fond de ma gorge et tacher son haut et elle tenta de me calmer : « Drink this, you’ll feel better. » Elle porta une fiole à mes lèvres mais je ployai face à ma condition, me retrouvant incapable de lui obéir. « G-Go. They’re here…, parvins-je à souffler avec difficulté. This is a trap. » Elle posa sa main sur ma poitrine pour y sentir le battement effréné de mon cœur affolé, puis inspira pour m’aider à trouver son rythme. J’eus la nausée.
They’re here. They were waiting for you.
They gave me heroin.
They tied me up and tortured me because they were sure someone would try to come after me.
Don’t trust a man who’s been under the yoke of Evil.
He’ll never find justice again.

Son nom, grésillant dans mes pensées comme un message de l’au-delà, embrasa mes mots et je lui soufflai avec désespoir avant d’être secoué d’un nouveau sanglot.
I’m sorry, Justice
I’m sorry for everything

Elle sentit que ses efforts restaient inefficaces et reprit la parole, laissant les mots glisser de sa bouche avec la sérénité d’une mère venue consoler son fils au milieu d’une nuit de cauchemars.
I’m sorry for hurting you back then. I’m sorry for leaving. I’m sorry for being the jerk that I am. I’m sorry for loving you this hard.
Et j’aurais voulu lui dire, persuadé qu’il s’agissait là de ma seule chance de pouvoir lui faire de sincères aveux alors que son expression confiante ne quittait pas son visage.
I’m sorry for putting you in danger.
L’écho des souvenirs me foudroya et tous se mêlèrent à mon esprit surchargé qui ne pouvait que s’accrocher à ses traits irisés par un aura protecteur. Les secondes passèrent, s’écrasant comme le son des cloches funèbres qui annonçaient les catastrophes sur le rivage morose de ma volonté. Justice, qui m’avait trouvé. Justice, qui avait cru en moi. Justice, qui m’avait fait me sentir humain de nouveau. Justice, qui m’avait donné une place en ce monde où tous se battaient pour exister. « Don’t try to talk. » me conseilla-t-elle en passant sa paume dans mon dos pour tenter de me redresser. Mais des maléfices me retenaient à ce lit funèbre comme un cadavre à un tombeau, et je me recroquevillai davantage, l’air épars et terrifié. « D-d-d-d… » Justice tenta de nouveau de me faire boire la potion et son goût imprégna ma bouche un instant de nuances boisées. « Calm down Eachan. Tiana’s almost here. You’ll be safe in a minute. » Mon bras s’agrippa au sien avec une brusque violence qui l’alarma et de mes lèvres s’échappèrent un seul mot aux consonances macabres : « Dementors. » Mes ongles sales se plantèrent dans sa peau puis j’esquissai un geste pénible vers la vitre de ma chambre qui se recouvrait progressivement d’un givre vorace. Elle se releva immédiatement, la baguette pointée vers la pénombre, mais déjà nous pouvions sentir le froid nous envahir et je l’accueillais comme un frère entre mes côtes endolories.
Can you feel it slip away?
Ses phalanges recourbées autour du manche en bois se raffermirent alors que l’ombre du détraqueur apparaissait dans l’encadrement de la porte. Cela m’arracha un râle de terreur car la créature sentait déjà en Justice la source d’un bonheur qu’elle s’était appliquée à dévorer durant les derniers jours. On lui amenait un festin sur un plateau d’argent et elle n’allait pas se priver d’y goûter.
« Spero Patronum! » Je tournai la tête à temps pour apercevoir la lumière lactée envelopper la pièce, me plongeant dans un état de bien-être soudain qui fit perler de nouvelles larmes au coin de mes paupières. La joie d’y croire enfin, peut-être. Et je m’autorisai à espérer, observant de mes yeux mi-clos la silhouette de Justice, songeant à ce que j’allais bien pouvoir lui dire une fois qu’elle m’aurait sauvé, méditant sur le fait d'être à la hauteur de son sourire illuminant une pièce entière et mon cœur martelant à l’idée de combattre à ses côtés, laissant en marge nos différends qui n’avaient plus d’importance face aux forces du mal. Le lion argenté rugit à l’attention du monstre qui poussa un cri strident et s’enfuit dans le couloir, non sans être poursuivi par le félin. Justice fit volte-face et revint à mon chevet, l’extrémité de sa baguette passant sur les stries et les runes que l’on avait gravées dans ma chair pour me retenir prisonnier. Ses doigts frôlèrent les crevasses pourpres qui marbraient ma peau, y devinant la trace des intraveineuses administrées par les Mangemorts, devinant à mes yeux injectés de sang que la drogue fusait en cet instant même dans mon organisme. Mon corps maigre et repoussant se contracta, en vain. Elle plongea sa main dans sa sacoche pour y trouver un onguent qu’elle se pressa d’appliquer sur mes plaies, décrivant des courbes avec sa baguette et soufflant des formules rassurantes qui me bercèrent et me permirent de retrouver un semblant de contenance. La douleur s’estompait progressivement. « No one’s going to hurt you. We’ll be gone soon. »
L’éclat vert traversa la pièce et son sourire se figea sur ses lèvres, accueillant un bleu pâle à leurs commissures puis gagnant le reste de son visage jusqu’à éteindre ses yeux comme des nuages couvrant un ciel paisible. Mes sourcils tremblèrent, mes mains se soulevant avec difficulté et encadrant ses joues à mon tour : elle me voyait toujours, et ses paupières battirent telles les ailes d’un papillon s’envolant vers la lisière d’une forêt mystérieuse au-delà de laquelle je n’étais pas prête à la suivre. Une larme naquit au coin de son regard, défiant la mort une dernière fois tandis qu’elle trouvait encore la force de garder l’expression d’une joie inouïe se reflétant sur l’émail de ses dents immaculées. Puis ses muscles cessèrent de lui répondre et son corps retomba sur le mien dans un bruit sourd. Ma respiration chercha la sienne, en vain, et je la serrai pour conserver la chaleur qui venait brusquement de quitter chaque parcelle de sa peau, me laissant démuni et frigorifié face à la réalité.
J’étais incapable de la retenir et elle glissa sur le sol, prolongeant l’axe de mes bras tendus qui cherchaient à la garder contre eux à tout jamais. La vérité me frappa alors, comme un coup de fouet sec et fatal dont l’écho se répercutait entre les parois de l’enfer, laissant les anges muets et impuissants. Aucun mot ne sut franchir la frontière de mes lèvres : seul un cri, sauvage et déchirant, prenant sa source entre les artères poreuses d’un cœur qui manquait d’oxygène. Le muscle svelte du renard épousait celui de l’homme et mes griffes caressèrent son buste immobile, déformé par la mort car il n’y avait jamais eu autre chose qu’une puissante vitalité animant ses traits. Ma lamentation ne prit pas fin, pas même alors que la silhouette du meurtrier s’avançait à travers l’espace pour constater le résultat. J’affrontai la douleur et ma carcasse retomba contre le cadavre de Justice, mon esprit refusant de lui donner un tel nom. Ma main recouverte des effluves d’un pelage roux s’accrocha à son flanc d’un geste protecteur et je lovai mon museau dans son cou, mes iris ayant abandonné leur noir sévère pour un ambré profond et lacrymal.
There’s no justice in this world if you die and I survive.
J’ignorai le profil recourbé au-dessus de nous. Il pouvait m’infliger ce qu’il désirait : la douleur était déjà infinie dans ma poitrine, comme si mes organes étaient au bord de l’explosion. Il parla d’une voix sombre, mais je ne l’écoutais plus. Mes oreilles s’agitèrent, habillées de leur teinte cendrées, mes cheveux leur laissant leur place désignée en s’étalant sur le sol tels les tentacules d’une méduse échouée sur le rivage. Mes yeux se fermèrent, les larmes s’échappant au rythme de mes sanglots que venaient ponctuer des hoquets presque enfantins. « Get the fuck back to bed. » Ses menaces étaient inutiles et elles ricochèrent sur mes pensées pour disparaître au milieu du silence. Je raffermis ma prise sur le corps de Justice, les tremblements du sol berçant l’instant que j’imaginai être mon dernier.
Take me and bring her back.
Ma mémoire brumeuse déchirait chaque souvenir pour y trouver le moindre sort mais la douleur les asséchait, me rappelant à quel point j’étais impuissant.
Take me and bring her back.
Take me and bring her back.
Take me and bring her back.

Un soupir vulpin, et ma poitrine collée à son épaule, et mes doigts rencontrant les siens, et mes crocs se dévoilant pour que mon souffle se libère, mais il n’y avait que la mort pour accueillir mes prières.
« JUSTICE! » Le hurlement me fit sursauter, me ramenant à la réalité et mes membres se crispèrent, protégeant ceux de la défunte avec toute la volonté qu’ils étaient encore capable de manifester. La silhouette de Tiana apparut à mes yeux, mais ils ne croisèrent pas les siens car son regard était posé sur Justice, ses traits offensifs ne laissant trahir que l’incrédulité de la voir ainsi inerte. Elle n’y croyait pas.
Le Mangemort fit volte-face lorsqu’elle cria le nom de son amie et il leva sa baguette avec agilité : « Avada Kedavra! » Le sort se forma à l’extrémité du bois sombre, mais Tiana serra les dents et son bras fendit l’air d’un réflexe hérité de ses nuits de pleine lune : « Protego! » La traînée verte s’écrasa contre le charme du bouclier avant de retourner vers son auteur et le repousser contre le mur : son crâne s’y fracassa et il retomba lourdement sur le sol, immobile.
Elle accourut pour nous rejoindre et s’agenouilla hâtivement, ses mains cherchant le pouls de son amie, sans succès. Je pouvais entendre son cœur marteler sa poitrine et les émotions quitter son visage pour n’y laisser qu’une ombre horrifiée. Elle ne me voyait même pas, car toute lumière s’était éteinte dans son regard d’ordinaire embrasé par la conviction. Les secondes passèrent, éternelles et nous poussant pourtant à prendre une décision en ces lieux où toute initiative paraissait vaine. Puis, après un silence déchirant, Tiana entoura ma main de sa sienne, redressant et entourant nos corps de ses bras, et ainsi nous disparûmes dans un tourbillon de poussière retombant sur ce sol d’où ne se dégageait à présent plus que l’odeur sulfureuse d’une mort qui venait toujours trop tôt en ces temps chargés de douleur.

(1997) Une rumeur traversa la salle et je me collai au portail que je venais de refermer avec toute la précaution du monde, cherchant à disparaître devant les regards qui se posèrent sur mon profil recourbé. Fayth plissa ses paupières intimidantes, son souffle régulier me rappelant sa présence à mes côtés face à l’incrédulité générale. Je pinçai mes lèvres, mes doigts osseux tremblant et venant nerveusement lisser ma cravate en soie pour évacuer l’anxiété. L’allée séparant les bancs où les convives s’étaient installés me parut immense et exiguë, donnant sur le cercueil encore ouvert et l’esquisse d’un profil qui me noua le cœur en un profond sentiment de tristesse. J’imaginai Justice me sourire à cet instant, traversant une pièce pleine d’inconnus pour m’embrasser chaleureusement et me rassurer sur la place que j’ignorais pouvoir occuper parmi eux. Mes ongles frottèrent le creux de mon coude à travers le tissu de mon costume et mes prunelles quittèrent le linceul blanc pour s’accrocher aux vitraux brisés qui filtraient la lumière du jour pour inonder la nef d’étranges éclats irisés. Je me perdis un instant dans les mouvements lents des bougies qui flottaient près du plafond, puis la voix de Fayth me ramena à l’instant présent : « Don’t stand there like an idiot. » Elle s’engagea vers les rangées, n’adressant pas le moindre sourire à ceux qui tentèrent courtoisement de lui en faire, et je la suivis machinalement alors que Pablo nous faisait des signes discrets de la main. A ses côtés, Leviathan : sa longue veste de velours épousait ses épaules, les teintes d’ébènes soulignant son expression grave et se reflétant dans ses yeux qu’il ne tourna pas vers moi. Il avait senti ma présence dès mon entrée et mon corps se faufila entre les bancs, enfin décidé à me fondre aux autres derrière le médicomage et son chauffeur.
« Don’t sit down. » marmonna-t-il lorsque mon ombre surplomba sa silhouette et il esquissa un mouvement de son menton pour attirer mon attention sur le centre de l’église. Mon regard épars se plissa, se concentrant sur ce qu’il cherchait à me montrer et mes crocs se serrèrent finalement, faisant rouler ma mâchoire sous mes joues creuses : le visage effondré de Rasmus Dahl avait repris un semblant de couleur lorsque la rumeur de ma présence était parvenue jusqu’à lui, et bien que je me fusse préparé à ce moment durant les jours suivant la mort de Justice, le sentiment qui me frappa fut bien plus violent que tout ce à quoi j’avais réussi à m’attendre.
Il se suspendit dans les remerciements qu’il se forçait à lâcher aux invités, la douleur de sa perte peinte sur son visage fermé, et passa sa main sur l’épaule de son interlocuteur pour le congédier avant de quitter le premier rang et s’avancer au milieu de l’allée d’un pas nerveux dans ma direction. Je pris mon inspiration, quittant la place sur laquelle je n’avais pas eu le luxe de m’installer afin d’anticiper la confrontation. Je me forçai à garder mes prunelles froides sur son profil car je sus à cet instant que tous les yeux s’étaient tournés vers nous, et leur poids emplis de jugement m’étouffa comme le nœud s’entourant autour du cou d’un condamné.
Il s’arrêta et me fit face, la colère retenue dans ses poings refermés, puis déglutit avec difficulté : « I didn’t think you’d have the nerve to show up here. For real. » Je rajustai mes lunettes, passant mes doigts dans mes cheveux sans trouver la moindre réponse à lui adresser tant je savais d’avance que rien ne pourrait édulcorer son opinion à mon égard.
A raison, probablement.
Mon regard n’osa pas me détacher du sien, s’y plongeant comme on succombait au vertige en haut d’une falaise sans aucune prise à laquelle se rattraper. Il me toisa, les sourcils haussés comme pour retenir les coups, et bientôt d’autres se joignirent à lui, m’intimant par leur simple présence de disparaître sans plus attendre. Ma jambe rencontra le bord d’un siège à mesure mon corps adoptait une position défensive, et mes yeux finirent par se baisser de honte, comprenant mon erreur d’être venu me recueillir auprès de celle que j’avais menée au tombeau par mon égoïsme et mon esprit étroit. J’aurais pu leur faire croire que je l’aimais autant qu’eux, mais je n’y croyais plus moi-même tant la tristesse s’était faite reine au sein de ma poitrine, et qu’il n’y avait plus que cette haine dépréciative pour animer les traits de mon visage lorsque je croisais mon reflet dans un miroir, au détour d’une nuit de perdition.
« Let’s calm down. » Je reconnus la voix agaçante de Jawhar au-dessus de toutes les autres. Son ombre couvrit la mienne et il s’improvisa médiateur de la situation, cherchant de la raison dans les gestes contenus de Rasmus en lui faisant signe de contrôler ses réactions. Sa paume se posa sur le bras du sorcier dont le regard furibond ne pouvait se détacher de moi et il poursuivit tandis que mon corps me hurlait de m’éclipser sans attendre : « He was her friend, Rasmus. » Le mari veuf tourna brusquement sa tête vers l’égyptien, rejetant son geste diplomate avec dédain. « No, he wasn’t. » rétorqua-t-il sans appel. Il ne put retenir un pas de plus, réduisant l’espace qui nous séparait et me forçant à trébucher en arrière, me rattrapant au dernier moment. « She tried to be his friend. She saved his miserable life. You were there, Jaw. You know how it went. » Le concerné me lança un regard alarmé, incapable de choisir son camp là où il n’y avait pas d’hésitation à avoir. Je cillai, démuni, et mes prunelles finirent par se poser sur Leviathan, toujours assis et presque, presque désinvolte sans que son attitude ne soit  pourtant complètement détachée.
Don’t tell me you don’t fucking care.
Mais je me voilais la face derrière des détails et Rasmus me rappela à la réalité plus vite que je ne le crus : « She believed in him when no one did. » Ses paroles tranchaient le silence comme des poignards plantés dans ma chair et il secoua la tête avec fatalité : « That was her only mistake. » Il accompagnait chaque mot d’un froid glaçant qui prouvait à tout le monde qu’il n’y avait à ce jour qu’une seule vérité : celle de l’homme qui venait de perdre sa femme et qui ressentait tout avec la sensibilité de ceux dont on ne pouvait imaginer la douleur. Rien n’avait de sens : Justice était morte dans les bras de celui qui l’avait sacrifiée et le souvenir de son sourire ne s’attachait à présent plus qu’à la pâleur de son cadavre encore visible à quelques pas de nous. « So don’t tell me he was her friend. Because if he was, he would have died instead of her, and we would not have been losing a day of battle for his funeral because no one would have come to mourn him. » Son ton s’éteignit sans que son mépris ne cesse de se déverser autour de moi, et mon cœur eut un raté, ne laissant pas les larmes couler sur mes joues comme pour les rendre plus douloureuses alors qu’elles brûlaient le rebord de mes paupières hagardes. « He’s not anyone’s friend, reprit-il avant de me pousser violemment vers la sortie. He’s a fucking failure. » Mon regard vacilla, ne cherchant plus à s’agripper à celui de quiconque, puis il tomba sur la jeune silhouette qui se tenait en retrait du groupe, les mains enroulées autour du dossier de l’un des bancs et la poitrine se soulevant au rythme d’une respiration saccadée, prise au piège par des sentiments que son âge n’aurait pas dû connaître : les traits fin de Justice se reflétaient sur ceux de sa fille avec grâce, mais jamais je ne les avais vu si crispés sur une émotion aussi grave que celle dont Rosemary s’était parée pour m’observer. Fermant les yeux, je les rouvris sur l’assemblée hostile avant de hocher la tête avec docilité et faire demi-tour pour exaucer leur souhait.
Le vent fit claquer les pans de mon manteau et les rues désertes de Grodric’s Hollow m’appelèrent, puisant leur mystère dans la force surnaturelle qui semblait avoir toujours régi les lieux. Je manquai de m’écrouler en descendant les marches jusqu’au parvis de la petite église et le soleil hivernal m’aveugla alors que je laissai retomber mon crâne vers l’arrière pour que les larmes s’échappent enfin de leur prison. « Eachan! » La voix familière de Bonnie fut suivie par le bruit de ses pas sur les pavés s’approchant pour me rejoindre. Elle s’arrêta à ma hauteur et posa une main amicale sur mon épaule que je dégageai tel un animal craintif donnant un coup pour se défendre. « You know we don’t believe that. » Je ne cherchai pas à méditer sur ceux dont elle pouvait bien parler et plantai mon regard sauvage dans le sien pour l’empêcher d’en dire plus : « You should. Because he’s right. » Elle pinça ses lèvres d’un air navré, comprenant qu’il n’y avait rien à sauver sur ce champ de bataille, mais m’arracha le dernier mot d’un voix transie de maturité, cherchant à garder en ces lieux un bourgeon de ce que j’étais venu y faire fleurir : l’espoir de pouvoir vivre en accord avec les valeurs que Justice m’avait transmises dans sa mort, m’expiant de mes péchés tout en me condamnant à sentir à jamais le poids de son corps s’écroulant sur le mien sans que son sacrifice ne puisse faire honneur au prénom qu’elle avait porté chaque jour de sa vie avec justesse. « I’ll see you tomorrow. » Elle m’invitait à partir et trouver la sérénité dans la solitude, ce que j’avais toujours mieux su faire que tout le reste, et l'homme laissa place au renard, son pelage roux rayonnant sous le zénith comme pour la dernière fois, puis je m’élançai dans les rues du village sans plus attendre, courant jusqu’à perdre haleine à la recherche de ce que Bonnie me souhaitait d’atteindre, bien conscient pourtant que je ne méritais que l’errance de celui dont le salut n’était qu’un mirage au milieu du désert dans lequel il allait rencontrer la mort sans avoir su trouver le pardon, le sien comme celui de tous les autres.

(2018) We’ll have to see other memories with her. You won’t be able to remember her because even your meeting is a core memory.
Les mots d’Olly se répétaient dans ma mémoire et mes doigts agrippèrent le flanc de l’oreiller avec douleur alors que mon corps refusait de plonger dans le sommeil.
Are you ok with that?
Non. Non, évidemment. Mon silence avait trahi ma peine, cette blessure encore ouverte et fermentant sur ma mémoire pour que jamais elle ne cicatrise. Il fallait se séparer des membres gangrénés et j’étais aujourd’hui épuisé par la culpabilité. Pas un jour n’était passé depuis sa mort sans que son visage ne me revienne, sans que sa voix ne me conseille ou que son sourire n’éclaire mes pas. Mais chaque fantasme s’accompagnait de l’ombre qui planait sur ceux qui ne méritaient pas un bel avenir, et les mots de Rasmus résonnaient toujours justes à mes oreilles, mon esprit s’étant replongé dans le passé lorsque le sort d’extraction m’avait été administré.
J’allais tout revivre, à nouveau. Une dernière fois
Notre rencontre dans cette maison abandonnée où j’avais été d’abord un prisonnier suspect puis un allié possible.
Sa lucidité sur la situation, ses convictions et son besoin de se battre pour une cause qui n’était pas la sienne.
Mon admiration muté en amour sincère, me retranchant derrière des reproches égoïstes
Elle était sang-pure.
Altruiste et engagée, mariée à un mêlé scandinave et pleine de cet espoir que j’avais toujours trouvé rébarbatif chez les autres. Mais pas chez elle.
Ou peut-être que si, mais que ma lâcheté avait gagné du terrain une fois encore. Je refusais l’aide car je craignais que l’on constate la profondeur du trou dans lequel je m’étais moi-même jeté.
Le duel. Être allé retrouver Leviathan au beau milieu des bois lorsque la pleine lune s’était laissée border par les nuages boréaux, lui faire part de ma décision de me battre aux côtés de l’Ordre et essuyer le mépris de celui qui se complaisait dans le fait de ne pas être concerné par le problème. Mon cœur résonna comme une cloche obscure au fond de ma poitrine et je me recroquevillai, retrouvant la douleur déchirante du sortilège qu’il m’avait lancé, fruit de son génie et de la férocité du loup somnolant encore en lui tant que le soleil n’avait pas caressé sa peau à l’aube. Je l’avais haÏ en comprenant qu’il pouvait me soigner autant que me détruire et j’étais parti souffrant, lui laissant le luxe de savoir qu’il était le seul à pouvoir lever ce maléfice dont il était le créateur. Do you still use the spell, Levi? Or am I too associated to it, leaving you helpless thinking about how you create things that destroy what you love?
Onze ans de mariage, et combien de fois avais-je eu l’audace de lui rappeler, me laissant aller à mes délires de camé sanglotant ou hurlant qu’il était la raison de tous mes malheurs ? Que les intraveineuses me faisaient oublier la souffrance infligée cette nuit-là, fantôme ou fantasme car tout avait été bon à changer en reproches cinglants ? Que je le détestais autant que j’avais besoin de lui car c’était là ma façon d’aimer : it lifts you up, makes you feel fucking good for three or four hours of extasy, you feel like flying, well, you’re actually so high it’s crazy, then you fall back and then, your life is shit, like it’s not even a life, like you don’t know why you’re still there, why you’re still trying to feel something - fuck, you were feeling shit twenty minutes ago! man, don’t do drugs, it’s not worth it
but is love worth the years of total mental breakdown, then?
fuck you
I didn’t choose to love you
it just happened and it felt like I was getting my fix
it just happened and I still can’t get enough of it

Combien de fois me suis-je rappelé que le sort qu’il m’avait infligé était en réplique à ma propre offensive?
Zéro.
Zéro.
Zéro.
Hey, you still married the guy
Yeah, that seems like the beginning of a disastrous story, now that I think about it
.
Combien de fois avais-je eu le courage d’admettre que j’avais récolté ce que j’avais semé, cédant à son dédain de jeune loup piégé par les lueurs du jour dans le corps et l’esprit de Leviathan Faust et laissant la magie noire diluer le sang qui coulait dans mes veines pour embraser ma colère et formuler un sort impardonnable ?
So the Crucio didn’t actually hit him, his wolf-like instincts made him too quick and you were too weak to actually cast the spell successfully, so it wouldn’t have done too much damage anyway. But man, a Crucio? They don’t teach how to cast Crucio at Hogwarts and you bloody know it! Still, you understand why he was pissed
Ma mémoire vibra, les souvenirs ténébreux de cette nuit de discorde tremblant de netteté comme si les évènements s’étaient déroulés la veille. Mon insomnie était transie de lucidité et je soupçonnai mon esprit de se protéger face au sort d’extraction, se faisant alter-ego craintif d’une amnésie que je savais bientôt proche. J’ignorai combien de jours étaient passés à présent. La dernière entrevue avec Olly s’était écourtée car j’étais resté silencieux, incapable de formuler des mots pour traduire mes émotions tant ces dernières se montraient contradictoires. Et, malgré le ton compréhensif qu’elle avait adopté pour à la fois m’encourager et me rassurer, le doute s’était instillé en moi naturellement. Je m’étais attendu à sa venue.
Why do you want to forget them, Eachan?
Because this is the only way I know how to love. How to love properly.

Car lorsque j’aimais, je rejetais : j’avais fui jusqu’à Godric’s Hollow, le sortilège de Leviathan me lançant quotidiennement sans que je ne parvienne à situer la douleur, et mes plaintes avaient rendu tout rétablissement impossible si j’étais resté conscient. Il avait fallu retrouver Levi et le convaincre de venir lever le maléfice lui-même.
In the meantime, let’s put you to sleep
Well, I mean, I was trying hard, guys. Eating healthy stuff, weaning off, trying to be my best self
And you bunch of morons just gave me sedative!
You know, sometimes you’re lucky and sometimes life’s a bitch. But if this wasn’t a message from i-don’t-give-a-fuck-who telling me I was definitely going to Hell, well, I still don’t know what it is to this day

Je m’étais éveillé après des jours de convalescence, plus en manque que jamais, et Justice avait pris pour les erreurs de tous les autres. Son visage avait toujours signifié que c’était dans ses habitudes, son empathie la condamnant à ressentir chaque malheur comme un problème à résoudre, mais les miens n’avaient plus de solution. Elles étaient restées perchées sur les toits de New York, dans les ruelles parisiennes ou au fond des forêts écossaises. Pas entre ses doigts à elle. Elle avait pourtant tenté d’être compatissante, cette amie unique qui faisait fuir les tracas par sa simple présence, délaissant jusqu’à son mariage et sa famille pour la liberté des autres, et je voulais encore croire qu’elle avait eu des regrets lorsqu’elle avait refusé de m’embrasser en retour alors que je m’étais lancé à l’abris des regards, derrière l’église où nous l’avions enterrée quelques semaines plus tard.
She had to know how I felt. She had to do something with it.
Et c’est ce qu’elle fit, rejetant mes avances avec honnêteté, m’invitant à penser que dans une autre vie, nous aurions pu être ensemble mais que celle-ci nous prévoyait un destin différent. Un destin que je n’avais pu accepter, puisque tout m’était systématiquement refusé car un sang souillé coulait dans mes veines et qu’il avait eu le malheur d’hériter du gêne d’une magie bâtarde ayant sauté dix générations pour s’abattre sur mes côtes fragiles. Ainsi je lui avais reproché d’oublier ses privilèges et de se battre pour des intentions bien moins honnêtes que ce pour quoi elle prétendait se sacrifier toute entière.
You pure-blood don’t know how it is. You can fight all you want, the sludge that flows in my veins will always make you shine brighter. It’ll always be there, and there will always be people to tell us we don’t deserve to sit at their table. Maybe you think you’re exposing yourself to danger, but you’re only speaking for us because no one cares to listen to us. We don’t need your pity. We don’t need your presence. You’re here no matter what and it’s fucking oppressive.
L’air s’échappa doucement de mes poumons et avec, la suite des évènements : les reproches la vexèrent, à raison. Puis survinrent mon retour à Londres, ma capture par les Mangemorts et le sauvetage malheureux qui la conduisit à son tombeau sans que je ne puisse lui demander pardon. Sans que je ne puisse la serrer dans mes bras une dernière fois, et malgré notre discorde, elle ne témoigna pas une fois d’une quelconque rancœur durant ses derniers instants. Je voulais croire que nous aurions pu reconstruire autre chose sur le terrain de nos propres ruines, mais l’histoire ne le disait pas et je n’étais pas assez bon conteur pour la réécrire. Mes récits ne berçaient pas la moindre de mes nuits, et celle-ci s’ajoutait à toutes les autres comme s’il s’agissait d’un reflet dénué de toute singularité car la douleur, quelle qu’en soit sa source, ne faisait plus de différence lorsqu’elle naissait au fond de ma poitrine, à l’orée de mon cœur.


Dernière édition par Ishikawa Ryuku le Jeu 27 Fév - 0:53, édité 6 fois
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Ishikawa Ryuku
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MessageSujet: Re: (eachan reid)   (eachan reid) EmptyVen 27 Sep - 14:21

(2018) « You understand that you cannot remember your time in the Resistance. The role you played during the Second Wizarding War will be erased and replaced by memories of our own design. » J’acquiesçai en silence, résigné à leur obéir. J’étais venu conscient que les bons souvenirs partiraient avec les mauvais, mais à présent que l’on me mettait devant mes propres dilemmes, il m’était difficile de ne pas vouloir faire marche arrière. De toutes mes relations, mon amitié avec Fayth semblait être celle qui dénotait le plus, et pourtant celle à laquelle j’étais le plus attaché puisque la jeune femme avait toujours imposé ses silences caractériels et son absence d’empathie comme quelque chose d’étrangement naturel. J’avais fini par croire qu’elle ne s’en rendait pas compte, et les années qui suivirent la fin de la guerre renforcèrent notre lien, l’américaine ayant accepté mon offre de travailler à mes côtés au Ministère britannique.
On ne m’appréciait pas mais on avait reconnu mes atouts : la chasse aux Mangemorts se poursuivant bien après la mort de leur maître, l’idée de fermer la branche d’espionnage du Bureau - celle-là même qui m’avait recruté pour m’envoyer en mission-suicide à Paris - prenait son sens dans un pays qui semblait vouloir renaître de ses cendres et laisser derrière lui les ravages de la guerre. Mais on me proposa finalement de la reprendre et d’y développer une cellule officieuse composée d’Aurors aux particularités magiques variées, avec la promesse de ne pas nous exposer au grand jour. La perspective de ne pas travailler aux côtés de ceux dont la rancœur à mon égard n'avait pas semblé vouloir s’éteindre m’avait plue, et j’avais à l'époque la réputation d'être manifestement doué pour l’espionnage, mes ressources ne tarissant que rarement puisque j’avais étonnamment réussi à traverser la décennie sans y laisser ma peau malgré les embûches ayant pavé mon chemin. Et si mon corps fatigué aurait aimé se complaire dans une retraite plus que prématurée en me laissant entretenir par Leviathan jusqu’à trouver une mort jeune et souriante, j’avais accepté pour Justice, comprenant que c’était là le seul moyen pour moi de trouver la paix. J’allais défendre mon pays dans l’ombre, sans que personne ne le sache, sans que personne ne s’en soucie, apprenant de mes erreurs et affichant une mine courtoise en rencontrant par moment d’anciens frères et sœurs d’armes au cours de ces soirées mondaines auxquelles j’avais détesté me rendre, même pour la forme.
Leur mépris avait rendu la tâche facile : pas un seul ne m’avait demandé des nouvelles, pas un seul n’avait désiré connaître mon parcours au sortir de la Guerre, et pas un seul n’avait ainsi découvert mes nouvelles fonctions alors que j’avais gravi les échelons de la hiérarchie en empruntant un raccourci dont ils ignoraient encore aujourd’hui l'existence. Je ne prétendais certes pas être une véritable figure politique, mais j’appris vite la nature stratège de mes missions à mesure que j’avais pu prendre du recul pour en observer les conséquences.
Et Fayth m’avait suivi, prêtant serment de ne pas nous trahir pour le pays qu’elle avait quitté. A contrecœur, pour une sorcière dont la Marque des Ténèbres luisait encore d’un mauvais augure sur son poignet fin, mais elle avait accepté. Et à ce jour, aucun membre de la section n’avait mis ses promesses de côté, nous permettant ainsi de vivre une vie ordinaire une fois sortis du Bureau.
I think I want to live just a normal life, Fayth. Without the bullshit that goes with what we do.
Comprendrait-elle mon choix d’abandonner toutes ces années alors qu’elle s’était aliénée à elle-même pour me sortir d’affaire lorsque j’en avais eu besoin ?
I believe you will.
Je souris avec douceur et Olly m’observa, perplexe. Elle nota quelques mots sur son parchemin et releva la tête pour me relancer : « We will have to talk about what you actually want to remember, and what memory can be saved. But right now, I don’t think you’ll be able to be an Auror again. I hope you came here with a list of other interests you might have. » Je laissai échapper un rire silencieux et mon corps rencontra le dossier de ma chaise alors que je m’y affaissai : « I’m sure I’d be a great craftsman. What do you think? » Elle me lança un regard amusé et se redressa en rangeant ses notes dans son sous-mains : « Let’s get going. We still have twenty years to cover. » Je haussai les sourcils pour admettre qu’elle avait raison et soupirai. « I hope you weren’t thinking those first ten were the worst ones. You’re gonna be disappointed. »  Elle plongea son regard énigmatique dans le mien et s’humecta les lèvres en se parant d’une expression lucide : « Don’t wallow in self-pity, Eachan. People who come here rarely have an easy life. You’re not so special. » Je croisai les bras sur ma poitrine, mes yeux brillant d’un éclat amusé par sa répartie : « You ain’t the first person to say that. » m’enquis-je, presque provocateur. Elle but une gorgée de thé et reprit, m’indiquant qu’elle avait intelligemment compris la référence : « Let’s talk about Leviathan. » Mes jambes se tendirent sous la table et je poussai un nouveau soupir, cette fois transi de lassitude : « Yeah, grommelai-je sans enthousiasme. Let’s talk about Leviathan. »



CHAPTER 6, “funny how we actually call that a boner.”
waiting for hope babe, there's no more light in my sky, see the pills in my hand, i'm running through your lies. you've got nothing to say, 'til I'm crossing the line but you can't kill my name, demon's coming tonighttheme


(1998) Le crayon roula entre mes phalanges et j’en plantai délicatement le bout entre les rainures de la table en bois, faisant tourner la pointe en granit sans la casser jusqu’à n’entendre que le bruit du frottement que cela produisait. Je redessinai les détails de la surface, les traits s’apparentant à la longue chevelure châtaine d’une femme allongée, puis reposai finalement l'objet en soupirant. Je n’avais pas ôté mon manteau, persuadé de rester seul et de finir ma nuit ainsi, et que dans l'hypothèse où il venait, je doutais que l’entrevue dure véritablement.
What happened? On avait arrêté de me poser la question. We had a disagreement. Je m’en étais toujours sorti ainsi et pourtant, à chaque fois que j’avais prononcé ces mots, quelque chose en moi s’était pincé d’amertume, non pas mon cœur, mais plutôt un organe invisible qui faisait miraculeusement tenir tous les autres ensembles. Je plissai les yeux, le visage plongé dans cette ombre de coin de salle que les stroboscopes venaient perturber de temps à autres, d’une manière irrégulière comme le pouls d’un mourant. Toutes les personnes présentes se tuaient peu à peu, dansant frénétiquement sur les tubes d’une époque nouvelle, les veines en feu, le palais gorgé d’acide et l’esprit embrumé par des cocktails élaborés dont les couleurs témoignaient de la modernité. Je leur enviais l’hypocrisie avec laquelle ils prenaient du plaisir à se montrer ainsi. J’étouffais dans ce corps et dans ce lieu, la bouche pâteuse et déshydratée. Je pouvais entendre la voix de Bonnie me faire la morale, voyant d’un mauvais œil la témérité qui m’avait poussé à fixer le rendez-vous dans une boîte de nuit, là où l’haleine de ces fêtards souriants de toutes leurs dents sentait un nombre de drogues que mes dix doigts seuls ne pouvaient énumérer. Cela faisait des mois que je m’étais tenu à l’écart de tout ce qui avait attrait à l’héroïne, mais je voyais mon évolution en comptant le nombre de réunions auxquelles j’avais assisté, restant toujours silencieux sur ma chaise et ne pouvant comprendre pourquoi elles étaient salvatrices. Elles l’étaient, c’était tout ce qu’il fallait savoir. Mes nuits d’aventurier solitaire me manquaient cruellement car, aussi agréable que soit la demeure de Bonnie à Pré-au-Lard, je restais un électron libre, oiseau nocturne en quête d’indépendance et de sérénité solitaire.
Voilà donc ce que j’étais venu chercher ce soir au fond de ce club bruyant : l’occasion de tester mes sens et ma perception des choses pour vivre de nouveau comme l’homme que j’avais autrefois été.
Mais l’exercice était ardu et je repérai à chaque alcôve mystérieuse l’écho d’un trafic hypothétique de stupéfiants. Je reconnaissais les regards fous et les gestes fébriles, incontrôlés car n’appartenant déjà plus à ce monde, plongeant dans des hallucinations trop belles mais trop courtes, probablement trop innocentes. If you don't feel well, hang on to a memory, to a face or to something that makes you feel safe. Mes doigts tremblants tâtonnèrent sur la table pour retrouver le crayon et j’en plantai la mine avec nervosité dans le bois malléable. Trust, commençai-je avec hésitation, is art … Take a bow and arrow, … Il n’y avait étrangement qu’un unique souvenir qui grimpait le long de ma mémoire. Une silhouette maigre à la voix dénuée d’une véritable nature humaine car son âme avait été ravagée par la drogue, mais son discours avait semblé à cet instant répondre à d’étranges questionnements qui ne venaient qu'une fois que même la lune craignait le noir de la nuit.
Do you know … J’écarquillai les yeux, cherchant à oublier les alentours et la douce voix de l’héroïne qui susurrait des mots terribles à mon oreille. Do you know Marina Abramović? Je replaçai le souvenir quelques semaines plus tôt, lorsque Voldemort avait été renversé et que le trouble s'était fait omniprésent à Londres face à la vague d'incompréhension des moldus dont il avait fallu effacer la mémoire. J’y avais rencontré un homme dont je n’avais pu deviner l’âge tant la drogue brouillait ce genre de piste. She makes art … out of her fucking body, man. Il m’avait parlé de cette artiste serbe avec l’obsession d’un camé pour ces choses qui paraissaient pourtant si secondaires. Et cependant, j’avais eu l’impression en l'écoutant que les performances dont il me parlait résonnaient d’une façon juste avec mon existence. Une femme, un homme, un arc et une flèche, cette dernière pointée vers le cœur d’Abramović et leurs corps penchés en arrière mais accrochés l’un à l’autre, de sorte que si le premier lâchait, la flèche ôtait la vie de la seconde. In the name of what would you be ready to die? La tension créée par l’équilibre entre les deux corps m’avait glacé le sang. Je posai mon crayon, le cœur battant à un rythme rapide et régulier. In the name of art? J’étais un sorcier, l’art m’était étranger. In the name of love? Et je mis plusieurs secondes à me rendre compte que j’avais retenu ma respiration jusqu’alors, incapable de me détacher de cette idée destructrice que je me faisais de l’amour comme cet équilibre fragile et incertain mais absolument et éternellement consenti.
Je pus sentir son parfum attirant avant même qu’il n’entre dans mon champ de vision mais ce dernier s’accompagnait de l’odeur singulière de l’alcool qui n’eut pas l’air d’avoir entaché le comportement ou le caractère de l’américain, si ce n’était par une assurance plus prononcée, si cela avait été humainement possible – mais nous savions tout deux qu’il n’était pas qu’humain, et que moi non plus. Je tournai la tête, une cigarette encore éteinte entre les lèvres, mes prunelles l’observant à travers le verre de mes lunettes où frétillaient les demi-lunes que les néons venaient loger en rythme avec la musique. Je m’accoudai à la table et me penchai en avant, l’air sombre. Le sevrage m’avait creusé les joues et pâli le teint, ce qu’il n’hésita pas à souligner, lui dont les cheveux luisaient de santé et dont la barbe était taillée d’une façon presque mathématique. « I must grant you forgiveness for you seem so pitiful. » Le dernier mot de son offensive verbale étira mes lèvres en un sourire satisfait. I know you so much you'd freak out, Levi. Était-il capable d’être assez froid et pragmatique pour contrôler des sentiments qui semblaient ne fleurir qu’en de rares occasions, comme de mystérieux jubilés dont lui seul avait le secret ? Si oui, il fallait qu’il m’apprenne.If not, well ... you don't wanna know the answer to that question.
Je le fixai quelques secondes, laissant traîner le silence pour me montrer en parfaite maîtrise d’une situation qui bientôt m’échapperait sur tous les fronts, puis j’allumai nonchalamment ma cigarette et soufflai un nuage de fumée qui enveloppa mon visage pendant un instant. « I already got your apology, indiquai-je avec arrogance, you blamed yourself enough to come back and remove your spell. Too bad you didn't stay longer to know if I accepted it. »
Je jouais avec le feu car je me savais en position d’extrême faiblesse : le fait-même que Leviathan m’ait lancé un sort de sa propre création me prouvait que je n’avais pas idée de l’étendue véritable de ses pouvoirs, mais pour la première fois, cela ne me rendait pas nerveux, cela ne me complexait pas concernant nos rapports de force : j'étais enfin persuadé qu’il existait un équilibre entre nous, que cet arc et cette flèche illustraient avec précision sans que je ne puisse comprendre comment une œuvre si lointaine, si étrangère à mon existence pouvait ainsi lui correspondre aussi bien. Je portai le filtre à mes lèvres. That's art. Genuine, communicative, even when you don't understand it. Et mon sourire s’accentua car, peut-être pour la première fois, j’avais l’impression d’avoir un coup d’avance sur Leviathan et de peser le même poids que lui dans la balance, générant cette tension à la fois créatrice et dangereuse au sein de laquelle nous décidions de ce qui suivrait.
C’était amusant. Voilà ce dont je cherchais à me persuader en ne lâchant pas Leviathan du regard car mon esprit encore volatile ne parvenait pas à rester parfaitement concentré. La fête battait son plein autour de nous mais nous semblions protégés par une sphère increvable et invisible dans laquelle régnait l’instant présent ainsi que ses satellites passés et futurs qui gravitaient autour de nous. Cet instant n’existait pas en tant que tel, il était le maillon d’une longue chaîne qui me reliait à lui et chacun de nos actes l’avaient rendue plus résistante puisque même nos ruptures n’avaient fait que marquer davantage l’empreinte de l’autre sur notre cœur. Et c’était amusant qu’il soit présent malgré tout, son corps et ses vêtements sans défaut renfermant son esprit alourdi par l’alcool, face à ma maigre carcasse qui luttait pour garder la lucidité entre les barreaux de ma cage thoracique. Je pouvais le lire dans son air perplexe : j’avais l’air d’un épouvantail avec mes habits au tissu usé et terne, mon poignet nu car je n’étais pas dépendant du temps qui passait sur le cadran d’une montre, ma ceinture serrée jusqu’au dernier trou mais la taille de mon pantalon flottant encore, et ma peau blême, bien trop blême pour que quiconque n’ose parier sur ma survie. On appelait ça la sélection naturelle. Ses airs supérieurs et son mépris m’avaient bien fait comprendre qu’il savait parfaitement de quoi il s’agissait. Lui aussi, il s’adaptait, changeant au gré du temps tout en prétendant qu’il était impérissable. C’était évident car il avait du mal à garder ses masques en place sur sa figure et que cela irritait sa peau à force d’en mouler de nouveaux.
I see you, Leviathan. Je voyais malgré tout que des sentiments terriblement forts s’échappaient des craquelures de l’apparence qu’il s’était donnée, ces mêmes sentiments que tout le monde refusait de croire réels au sein d’une poitrine comme la sienne où ne semblait fleurir que les pétales rugueux de l’orgueil et de la médisance. Mais le médicomage vivait, comme nous tous, des expériences émotionnelles qu’il gardait simplement pour lui jusqu’à paraître insensible. J’ignorais simplement si c’était par peur ou bien par honte. Peut-être les deux, car voilà bien une chose sur laquelle il ne pouvait apposer de protocole scientifique, voilà bien une chose dont même ses sortilèges les plus puissants ne pouvaient le protéger. C’était une chose qu’il avait à perdre et cela devait le changer, oui.
Et enfin, il devenait un peu plus lui-même, cet être que je poursuivais depuis le jour où sa silhouette si singulière avait croisé mon regard pour la première fois entre les reflets nocturnes des rues de New York. Tell me what has changed since that day, Leviathan. Il ne me le dirait jamais, me laissant suspendu à ses lèvres si bavardes mais pourtant si silencieuses car ce qu’il disait n’avait aucune profondeur. Il ne voulait pas en donner à ses mots : ses insultes sonnaient comme des compliments, ses élans de sagesse se ponctuaient systématiquement d’une cadence sarcastique et ses soupirs de satisfaction ne l’avaient jamais rendu affable, bien au contraire. Tell me what you want to change, then. Rien, car il s’en sortirait ainsi, enserrant la fameuse sélection naturelle de son poing ganté de soie. Il survivait ainsi, étouffant le reste sous ses richesses, achetant un nouveau corps, une nouvelle vie lorsque celle qu’il avait l’ennuyait jusqu’à sa perte, mais quoi qu’il fît, je restais accroché au coin de son existence. Je n’étais payé ni pour rester ni pour partir car je n’étais pas l’un de ses figurants dont il oubliait le nom, les appelant en claquant simplement des doigts d’un geste désagréable. Tell me what I have to change. Nous ne cessions d’interrompre l’existence de l’autre sans le prévenir si bien que j’en étais venu à croire que même si je l’avais voulu au plus profond de mon âme, j’étais incapable d’empêcher Leviathan d’être dans ma vie, ni moi dans la sienne, et chacun de nous survivait aux intempéries du destin pour se relever après chaque bataille. Je ne m’adaptais pas avec sa facilité bourgeoise. Non, moi, j’étais un serpent rusé qui dévorait son ancienne peau après avoir mué, ne laissant derrière lui aucune trace de ses faiblesses passées. Oh, really?
« I didn't think you'd come though. » Il fallait se rendre à l’évidence, c’était inattendu. Il y avait pourtant un sentiment de justesse, au-delà de cette satisfaction que je ne pouvais m’empêcher de ressentir, car notre histoire était restée inachevée et sa suite morcelée entre mes absences et mes rares épisodes durant lesquels j’avais été conscient et consentant dans mes mots et mes actes. S’il était venu lever le sort à Godric’s Hollow, il avait compris l’erreur que Justice avait commise, et de toute façon Bonnie l’avait probablement informé de la raison pour laquelle je logeais chez eux à Pré-au-lard.
« Thanks for putting me up. Bonnie's place is nicer than St Mungo. » notai-je, railleur, comme une anecdote mentionnée à un vieil ami que l’on oubliait de rappeler car elle était évidente. Mais Leviathan n’était pas un vieil ami. Il était le corps opposé au mien qui m’empêchait de tomber en arrière mais qui tenait la flèche pouvant à tout moment transpercer ma poitrine si l’un de nous décidait d’abandonner. « I'm only doing my job, really. And I’m not cheap so I really hope you have a good health insurance. » Je levai les yeux au ciel. Je ne lui en voulais étrangement pas, bien que ma rechute soit liée entre autres aux conséquences de notre dernière entrevue. Mais son absence s’était révélée assez longue pour que je me rende compte que je ne la préférais pas à son humeur acariâtre. Un Leviathan irrité valait mieux que pas de Leviathan du tout, en somme. « Bloody Americans, répondis-je finalement dans un grognement, I’m a Scottish activist. I support free health care for everyone. »
Je marquai une pause, ne détachant pas mon regard de ses boucles folles qui dansaient au rythme de ses mouvements et, alors qu’il faisait semblant de siroter le liquide ambré que contenait son verre, je ne pus me souvenir d’une fois antérieure où je l’avais trouvé plus désirable qu’à cet instant précis. Beau et agaçant, son costume sur mesure souffrant des plis de son corps désinvolte, sa chevelure soyeuse dont les courbes et le mouvement se confondaient en un chaos aux couleurs d’ébène où les poètes se seraient arrêtés des heures entières pour y écrire quelques vers à son attention. Je n’avais pas ce talent-là et me contentai de le contempler derrière mes lunettes aux reflets malicieux.
« So tell me, I’m curious. » Je portai ma cigarette à mes lèvres à nouveau, levant le menton pour l’intimer de poursuivre. « Does everyone become conceited after a near death experience, or just you? Asking for a friend. » Je haussai les sourcils, amusé. Il prenait ça pour de l’arrogance alors qu’il s’agissait simplement d’une liberté que j’avais refusé de m’octroyer depuis des années. Mais les hommes de pouvoir confondaient souvent les deux.
C’était amusant. De le voir et de ne pas avoir peur. Mon sommeil avait encore du mal à effacer les traits terrifiants qu’il avait affichés après m’avoir jeté son sortilège mais je retrouvais enfin l’être si unique et phénoménal qu’il était, même caché derrière son verre d’alcool. You wanna have the dark vibes of an antihero drowning in whisky? Addiction is already taken, mate. And I don't share because I don't wanna help anyone else.
« Leviathan Faust calling me conceited. That's funny. » Je savais qu’il ne se regardait plus dans son miroir depuis des années. Attendait-il que quelqu’un le décrive alors pour lui rappeler à quoi il ressemblait ?
Listen closely, Levi. Il avait vieilli en marbrant ses yeux de cette lueur dorée dans laquelle je reconnaissais la fébrilité d’une nuit de chasse au clair de lune. Ses rides étaient autant de cicatrices qui restaient sur son corps après qu’il ait étouffé chacune de ses émotions, stigmates visibles seulement par ceux qui cherchaient à voir au-delà de ses prunelles vives et intelligentes qui s’étaient passées toute leur vie d’être larmoyantes car Leviathan ne supportait pas les pleurnicheurs. Je ne me demandais plus s’il était capable de lancer un Doloris : c’était un sort trop vulgaire à son goût, manquant d’originalité et de panache. Mais je voulais savoir s’il était capable de pleurer à son tour.
Car l’Américain était comme moi au fond, il se définissait par ce qu’il n’était pas. Not for the same reasons, though. Lorsque je me bornais simplement à être à peine humain, cendrant mes cigarettes sur les sanglots des autres et tordant mes grands classiques pour admettre qu'être était ne pas être et qu’on n’avait pas à choisir, Leviathan, lui, sondait l’opinion de tous pour mieux pouvoir apparaître là où on l’attendait le moins, semant le doute parmi l’auditoire. Deus ex machina. Il avait tout d’un dieu en effet.
Listen closely, Levi. Alors comment le décrire, si ce n’était selon les ombres de son visage creusé par l’étau de ses émotions trop vives et ses imperfections dignes d’un nouveau courant artistique rejetant le précédent ? Il était en avance sur son temps et s’était lassé d’attendre à la croisée des chemins, prenant des décisions pour tout le monde car son argent et son charisme lui avaient toujours permis de le faire. Le démon s’était présenté pour lui acheter son âme mais Leviathan était de ceux dont on ne prenait rien car il avait déjà la vie éternelle et qu’il était lui-même un envoyé des enfers, simplement déguisé pour surprendre ses collègues d’outre-tombe et débattre sans fin avec ces derniers, les épuisant finalement et dévorant leur cœur sous sa forme lupine. Son nom était déjà inscrit dans les textes sacrés mais il lui en fallait toujours plus, refusant de parler d’addiction car on ne savait pas de quoi il pouvait bien dépendre, à part de son existence-même.
But that's what it is, Levi. You OD'd from your own life. Car à force de se dédoubler, à force de tout avoir, à force d’arriver à satiété sans même avoir ressenti le besoin une seule fois, il avait fini par en mourir, juché seul sur sa montagne de tous les plaisirs inachevés, réduits en cendres par son ennui et sa déraison.
Listen closely, Levi. Jamais il n’écouterait : la dernière fois, il m’avait fait taire en me clouant au sol pour me signifier que lui seul était en mesure de décider de qui me ferait souffrir et qui me soignerait. Je m’étais évertué toutes ces années à croire que j’étais hors de sa portée, pourtant j’avais été le premier à succomber en comprenant que si mon cœur battait encore aujourd’hui dans ma poitrine, Leviathan en était pour quelque chose. You wanna discourse on addiction? on arrogance? on the drink you pretend to finish when your slouched body tells me you're already drunk? Que valait la qualité de l’alcool lorsque l’on avait laissé sa sobriété à l’entrée de bar ? Il était fort, pourtant : seule sa démarche s’était montrée plus lente pour trahir les syncopes de son esprit, mutant en un dieu du vin, des excès et de la démesure. Yes, but a god anyway. Et les dieux n’écoutaient pas les mortels, c’était bien connu.
« I thought hanging with Bonnie made me kinder. » notai-je finalement pour plaisanter. « So I guess it’s just me being around you and your self-confidence. I have to be up to it. »
Il valait mieux le mettre au centre de la scène, à nouveau. Il adorait ça tout en prétendant mépriser son public, mais je doutais qu’un homme faisant autant attention à son apparence soit indifférent à ce que les autres pouvaient penser de lui. Cependant, il avait oublié que j’étais celui qui l’avait invité à venir et qu’en pénétrant dans ce bar, en me rejoignant à cette table, il entrait dans mon tableau et non l’inverse. Je me devais de lui rappeler avant qu’il ne décide de prendre trop de place.
« Wanna see somethin’ conceited? » Je ne le laissai pas répondre et me levai finalement, écrasant mon mégot dans le cendrier prévu à cet effet et reculant doucement vers la foule en le fixant durant une poignée de secondes. Mes épaules roulèrent avec fluidité au rythme de la musique et je me fondis finalement parmi les corps mouvants alors que le synthé laissait une mélodie moderne et électrique résonner dans nos oreilles. Il fit place à une basse singulièrement prononcée, presque arrogante, avant de l’accompagner jusqu’au début du couplet:
She came from Greece, she had a thirst for knowledge. She studied sculpture at Saint Martin’s College, that’s where I … caught her eye ...
Je perdis Levi de vue et mes paupières se fermèrent en embrassant finalement ce que la nuit m’avait toujours offert : la beauté de ses lumières.
She told me that her Dad was loaded. I said “in that case I’ll have a rum and Coca-Cola”, she said “fine”
Son parfum resta cependant, mêlant cette fameuse haleine ivre, les effluves de propreté de ses vêtements ainsi que, plus discrète mais bien présente, l’odeur de la terre sylvestre qui ne faisait plus qu’un avec son corps de loup. Reconnaissait-il le renard au milieu de tous ces gens qui, pour nous deux, se ressemblaient tous tant l’autre nous était indescriptible ?
And then in thirty seconds time she said: “I wanna live like common people
Mes mouvements me mirent face à Leviathan de nouveau et je ne les suspendis pas, penchant simplement la tête pour pincer mes lèvres en un sourire mutin.
I wanna do whatever common people do, I wanna sleep with common people, wanna sleep with common people like you
J’eus le temps pour une pensée de plus à son égard avant que les lumières ne changent de direction et de couleur, puis je perdis son visage dans le chaos à nouveau. La musique ne laissait aucun répit et c’est ce qui faisait sa force, puisant l’énergie commune pour se sublimer en ces rythmes qui paraissaient uniquement simples mais qui étaient en réalité d'une toute autre nature.
What else could I do? I said “I’ll see what I can do”
La chanson passait si vite que mes gestes me parurent déconnectés de ma volonté. Seule la lumière épileptique des stroboscopes me guidait à présent et bientôt la foule se désépaissit et le parfum de Leviathan sembla s’évanouir.
I took her to a supermarket. I don’t know why but I had to start it somewhere
Je clignai des paupières, distinguant autour de moi des visages qui semblaient m’observer et, en l’espace d’un instant, une sueur froide embauma mon dos et mes poings se serrèrent.
So it started there
Je relâchai mes muscles et m’avançai tel un fantôme ayant chassé tous ceux qui avaient osé le hanter de son vivant. Dans le coin, derrière un large pilier qui soutenait la mezzanine, des prunelles luisaient et m’observaient avec insistance, à tel point que je me sentis magnétisé et que mes pas ne purent s’empêcher de s’avancer jusqu’à elles, mes lèvres se courbant en une mine inconsciente.
I said, “pretend you’ve got no money”, she just laughed and said “oh you’re so funny”, I said “yeah?
well I can’t see anyone else smiling in here
are you sure?

Ce ne fut pas la voix de Bonnie que j’étouffai au fond de moi, mais bien mes propres sermons à présent inaudibles qui ricochaient contre les parois de mes démesures passées, présentes et futures alors que je m’adossai au pilier pour faire face à l’inconnu. Il releva le menton, penchant légèrement sa tête sur le côté, ayant repéré depuis le début les marques sur mes bras fragiles, ma maigreur maladive et mon teint blafard accueillant les lumières artificielles simplement pour se cacher derrière leurs nuances exacerbées. You should have remained seated. J’avais su en entrant au sein de ce lieu bruyant et excessif que s'y tapissait l'ombre de mes échecs. Il s’approcha et me glissa quelques mots à l’oreille, de quoi faire saliver mon instinct de camé, de quoi me faire oublier que la dépression abattait froidement ses cartes sur la table : thanks for you welcome, Eachan, you're now addicted to whatever thing that'll make you happier, even a little bit. Quelle ironie de me voir traité de vaniteux alors que mon être s’était brisé en milliers de morceaux comme autant d’addictions à tout ce qui me faisait oublier une réalité que je trouvais trop difficile à supporter. Whiner. Ne parlant que de lui-même mais n’existant qu’à travers ce qu’il disait aux autres et ce que les autres disaient de lui. La définition d’un dieu, en somme.
You wanna live like common people
You wanna see whatever common people see
Wanna sleep with common people
You wanna sleep with common people
Like me

La musique se distordait dans mon esprit, ralentissant au rythme de mon cœur comme pour geler le temps autour de moi. Les mots de l’homme me firent sourire d’un air amusé, mais déjà les syllabes se découpaient pour se dissiper entre mes côtes et, une seconde plus tard, je lui aurais tout donné pour la dose qui se cachait probablement dans le revers de sa veste. Tout. Les paroles sincères de Bonnie, les fleurs qui gisaient sur la tombe de mon père, les regrets que j’aurais pu avouer à Justice, les instants de solitude au milieu des foules et les regards à l’échappée dans les transports en commun. Peut-être qu’il ne voulait que de l’argent et peut-être que je lui aurais donné mon corps à la place, comme je l’avais fait tant de fois dans les ruelles les plus sombres de mon existence. Peut-être qu’il aurait pris mon corps mais il aurait forcément volé mon âme avec, car chez moi les deux venaient toujours de paire.
Après tout, mes yeux dévoilaient mes émotions, mes poings écrasaient ma colère, mon dos se cambrait face à mes aveux étouffés, ceux que ma gorge gardait noués, et mon cœur battait au rythme de mes convictions, et mon ventre se tordait de douleur dans la tristesse, et mes pieds dansaient sur ces mélodies dont je ne pouvais plus me passer, et mes muscles se bandaient par instinct animal.
Et mes bras blafards pleuraient par tous les trous que j’avais percés dans ma peau pour secouer cette fameuse âme, sans comprendre le crime commis, sans vouloir le réparer puisque je n’étais bon qu’à détruire.
Il pouvait la prendre, mon âme. Elle ne valait pas grand-chose de toute façon. Une seconde plus tard, et je lui aurais tout donné – Levi at the top of the list.
« Is there a problem gentlemen? » Son expression avait changé et je tournai la tête pour découvrir la silhouette familière de l’Américain à mes côtés. Cela m’agaça : il tirait mon bras avec insistance pour m’éloigner de l’inconnu, une expression exaspérée sur son visage. Ma danse fiévreuse m’empêchait d’y discerner de la crainte et je grognai pour qu’il me lâche, cependant il fut plus vif que moi à réagir, les restes de sa force de loup réussissant à me repousser vers l’arrière :
« Since you’re asking nicely. » Sa réplique théâtrale me surprit, et la suite davantage alors que je le vis écraser son point sur la mâchoire de l’homme en face de lui. J’ouvris la bouche, pour crier, pour respirer, pour l’appeler, mais seul le silence en sortit, bientôt comblé par les pulsations qui couvrirent les injures qu’ils se lancèrent. Levi se redressa et je pus lire une fierté audacieuse couler le long de sa colonne vertébrale alors qu’il déroulait ses phalanges meurtries.
« What the hell?! » lui lançai-je à travers la musique. Mes mots ne l’atteignirent pas car tout fondait à la commissure de ses lèvres courbées en un sourire satisfait.
Déjà l’autre se levait mais j’aurais pu étirer cet instant des heures durant pour en disséquer l’adrénaline, cette dernière valant bien toutes les doses d’héroïne du monde : j’avais retrouvé toute la lucidité dont j’étais capable de faire preuve à ce jour, détaillant le dos de Leviathan, redessinant ses cicatrices sous cette chemise que son accès de violence n’avait pas suffi à déchirer, ni même à plisser. L’homme lui lança un regard furibond, la main plaquée contre sa joue pour couvrir ses plaintes et ses peines. Et il ne pouvait pas le voir, ni même deviner, pauvre moldu qu’il était, que devant lui se dressait l’un des êtres les plus puissants que ce monde avait vu naître : seul moi le savais, car son aura était palpable et que je reconnaissais les mouvements du loup derrière les gestes de l’homme, lui donnant cette force que je ne pouvais oser espérer posséder un jour.
J’étais faible. Prostitué à une substance qui n’avait rien de vivant. Elle voulait me le faire croire en fusant à travers mes veines, cependant j’étais le seul à me laisser berner par un tel parasite au moment de la descente. Assez con pour croire que ça valait le coup la fois suivante.
Listen closely, Levi. Mais la seconde prit fin et le temps reprit son cours sans m’attendre. Il se précipita derrière moi, me poussant presque en avant à mesure que l’on se mobilisait pour nous rendre la monnaie de sa pièce : « Poor people know how to fight, right? And you’re taller. Have at it, hot stuff. » Mes poings se crispèrent en une posture défensive mais ses doigts agrippés à mes vêtements laissaient grimper jusqu’à mes épaules toutes les conséquences de son acte et je n’avais jamais été le plus apte à assumer les maux – les miens ou ceux des autres.
Run, soufflai-je pour lui comme pour moi-même, ou peut-être que je n’étais parvenu qu’à le penser. J’attrapai sa main et m’enfonçai dans la foule qui n’avait pas cessé de danser. J’avais appris à disparaître et, même si la précipitation me fit bousculer quelques silhouettes au passage, la sortie de l’établissement ne se trouvait bientôt plus loin. Et quand bien même il aurait fallu courir des kilomètres entiers pour échapper à une vengeance spontanée et certaine, le contact de sa paume contre la mienne m’aurait donné la force d’en venir à bout.
J’entendis hurler à l’arrière à l’instant où nous parvînmes au seuil et je levai discrètement ma baguette vers le videur pour l’étourdir, bondissant dans la rue pour retrouver la pénombre et transplaner. Nous bifurquâmes dans l’allée perpendiculaire et je n’attendis pas une seconde de plus pour disparaître. Nos deux corps s’écrasèrent contre un mur à l’opposé de la ville, sur l’un des toits où j’élisais domicile lorsque ma solitude me menait à Londres et que tout le monde me fermait sa porte.
Une seconde, deux, trois, quatre, cinq, et autant de respirations saccadées qui ne réussirent pas à me faire retrouver mon calme.
« Can you at least let go of my hand? » Sa voix me rappela brutalement sa présence et je déglutis, perplexe car j’eus l’impression de sentir son esprit dans le mien, comme s’il l’avait lu et qu’il le refermait en soufflant d’une haleine sarcastique. Je finis par m’exécuter, encore tremblant et il poussa un cri de soulagement, incapable de refermer son poing.
« Look, I don’t know what they teach you at Hogwarts when it comes to using magic but lemme remind you that you don’t disparate with freshly-broken bones, that’s basic common sense. » maugréa-t-il avec cette ironie qui rendait ses intentions toujours troubles à mon égard. « And you certainly don’t squeeze those same bones like your fucking teddy bear, and you don’t drag the person around like they’re your fucking pet dog. » Il me força à le regarder dans ses yeux embrasés par l’exaspération et, devant mon air épars, claqua les doigts de sa main valide. Le son rassembla mes esprits automatiquement et mes prunelles le suivirent alors qu’il s’asseyait contre le rebord du muret qui nous séparait du vide. Il frôla ses phalanges brisées et resta impassible. « Great. » Son ton était déçu, profondément.
« Levi, I… I’m so s-so… I’m sorry. » Il leva son visage vers mon corps fébrile, l’esprit en pleine réflexion, et je poursuivis : « I-I don’t know what I was thinking. »
Il sourcilla. « Heroin, Eachan, planta-t-il sans la moindre réserve, that’s what you were thinking about. What a conceited thing to do on a night like this. » Il ponctua ses mots d’un soupir qui n’attendait aucune réponse et j’en profitai pour ne pas suivre ses ordres tacites, me redressant pour le rejoindre, mes doigts enroulés autour du manche de ma baguette comme si ses mots pouvaient me lacérer la peau tels des sorts dont lui seul avait le secret.
Mais ne le pouvaient-ils pas après tout ? La magie n’avait pas créé Leviathan Faust, il s’en était chargé tout seul, le génie qu’il était maîtrisant la langue telle toutes les autres armes à sa disposition. Et ce soir, il était un loup blessé : je n’avais plus qu’à découvrir jusqu’à quel point son sang coulait derrière le masque qu’il maintenait à bout de bras sur son âme.
Je m’installai à ses côtés sans l’interrompre dans sa concentration, néanmoins il laissa bientôt son bras retomber. « Interns do those kinds of things, normally. And I didn’t take my wand because I wasn’t expecting such a turbulent evening in your company. Silly me. » siffla-t-il pour se justifier. Mon air rassuré le laissa indifférent et peu à peu, je retrouvai le moyen de penser correctement. Les descentes d’adrénalines étaient d’une autre nature : elles me donnaient envie de rire, elles paraissaient être les raisons pour lesquelles j’étais en vie. Elles rendaient les problèmes plus légers et le bonheur plus accessible à travers un brouillard pourtant épais et hostile. Il passa sa main dans ses cheveux pour les recoiffer et s’étira en arrière pour faire circuler son incessante réflexion.
« Maybe I can help? » proposai-je d’un ton hésitant et son expression me fit regretter d’avoir parlé. Même souffrant, il savait me rappeler où était ma place et le nuage sur lequel je flottais plus tôt, duquel je m’étais senti inaccessible, avait vite été dissipé par le mistral qui glissait entre ses mots acerbes. Ou bien la douleur exacerbait-elle les aspects les plus railleurs de sa personnalité ? J’avais beau le connaître, il gardait toujours l’effet de surprise, la part d’imprévisibilité qui le rendait si attachant. « Cute. »
Thanks, but no thanks, lisai-je dans ses iris suffisantes avant même qu’il ne détourne son visage du mien pour reprendre ses tentatives. A mon étonnement qui faisait sa troisième apparition furtive de la soirée face à un Levi à peine sobre, il ne déclina pas l’offre : « I see you’ve got your wand. Good boy. » Je levai les yeux au ciel, cherchant la moindre réplique à lui assener, en vain.
« You know how to cast Brackium Emendo? » Je secouai la tête, navré, et il agita sa main valide pour me signifier, par habitude, qu’il s’était déjà laissé convaincre par mon air de chien battu. Fucking Aurors, sembla-t-il me lancer dans le silence qui suivit. « It’s simple. Follow my steps. » Il claqua à nouveau des doigts et un morceau de bois de la taille d’une baguette glissa jusqu’à sa paume : il le saisit fermement et m’indiqua la posture que ma main devait avoir autour du manche, tout en détaillant l’état d’esprit que j’avais à adopter en lançant le sort. Je reconnus son passé professoral dans la façon qu’il avait d’articuler, d’accentuer certains mots plutôt que d’autres, mais également son impatience car il avait toujours eu affaire à des élèves expérimentés. Levi n’avait pas le temps pour les petits nouveaux et, bientôt, je me rendis compte que j’étais redevenu le jeune Auror qui l’avait suivi comme son ombre jusqu’aux confins de New York, trop timide pour manifester la fascination qu’il avait immédiatement eu à son égard, trop discret pour assombrir son tableau, et pourtant trop présent pour totalement disparaître.
Listen closely, Levi.
« Ok, so listen closely now, Eachan. Not only one, but four of my bones are broken so you have to be careful. » J’acquiesçai et pointai ma baguette vers ses phalanges d’un air certain, doté d’une confiance qu’il se chargea de balayer en arrêtant immédiatement mon geste. « Oh my God, souffla-t-il. Just don’t… » Il suspendit ses paroles, achevant de me faire croire que c’était de toute façon voué à l’échec, et je cherchai la lueur moqueuse dans ses pupilles mais il savait la dissimuler pour feindre la crainte jusqu’à l’erreur. « Just don’t kill me, ok? » Je me retins de lui rétorquer une injure avant de comprendre que ça ne mènerait à rien. Plus vite l’issue du problème serait atteinte, mieux ce serait.
« Ready? » Il hocha le menton et je m’appliquai à suivre ses indications à la règle. « Brackium Emendo. » prononçai-je distinctement. Une lumière blanche et sifflante s’échappa de ma baguette et enveloppa la main de Levi pendant quelques secondes. Elle s’évanouit finalement et il fronça des sourcils, sceptique. « Does it hurt anymore? » Il fit non de la tête et j’affichai un sourire victorieux, prêt à enfin avoir le dernier mot, celui-là même que nous voulions prononcer tels deux archers adverses souhaitant tirer la flèche fatale. Mais ma mine s’assombrit lorsqu’il souleva son bras et que ses doigts se laissèrent porter mollement, ne répondant plus à aucune articulation. Il ouvrit la bouche, cherchant un commentaire à faire, et faute de trouver quoi que ce soit de pertinent ou de subtil, il ne fit que constater les faits : « You removed my bones. » dit-il, descriptif et interdit.
Puis, une seconde passa, et il éclata d’un rire clair, un de ceux que je lui connaissais bien mais que je n’avais pas eu le plaisir d’entendre depuis plusieurs mois, me rappelant ainsi à quel point son caractère versatile m’avait manqué. A quel point Leviathan m’avait manqué, sans que je ne puisse le lui dire car cela devait rester éternellement enfoui au fond de nos gorges, les secrets n’ayant leur valeur intacte que lorsqu’ils étaient gardés.
Son hilarité soudaine était contagieuse mais l’épuisement eut raison de la suite et je ne pus que l’observer en silence, les lèvres entrouvertes et indécises. « I’m usually a tiny bit harder when I’m around you, querido. » lança-t-il, et je lus l’ivresse dans sa voix, mais aussi la sincérité qui saisissait les plus audacieux : un sous-entendu si cru le classait dans cette catégorie. « Funny how we actually call that a boner. » Mon front se plissa, perplexe, et je méditai sur sa remarque l’espace de quelques secondes. « Funny, yes. Why’s that, anyway… » soufflai-je finalement. Des mots trop inconscients, trop évasifs, trop sérieux pour son humeur enjouée que je peinais à suivre, et il caressa mon bras, libérant à nouveau cette sensation étrange de le savoir dans mon esprit, son regard pétillant ayant capturé le mien sans aucun scrupule. « Don’t tell me you’re asking me if there’s a bone there » Il s’esclaffa, cherchant mes points faibles avec ruse pour mieux venir à bout de mon tempérament impassible. Le masque du sarcasme se nouait à nouveau autour de lui, plus puissant que jamais : l’alcool n’y faisait donc rien.
« Shut up. » soufflai-je, à bout de force. Son rire, aussi contagieux qu’il fût, ne prenait pas sur moi ce soir. Au contraire : je le voyais déjà partir, moqueur, comme il le faisait à chaque fois. Et comme à chaque fois, un morceau de moi s’échappait avec lui. Combien de pièces gardait-il encore chez lui pour reconstituer le puzzle de mes espérances naufragées ? Je sus à cet instant qu’il savait. Qu’il avait deviné. Qu’il pouvait le dire à ma place mais qu’il préférait en jouer car Levi était un être cruel et que j’étais un damné à la dépendance. Je connaissais la douleur des descentes après l’extase et l’indifférence que Levi m’adressait après m’avoir fait passer pour le centre de son petit monde au-dessus des nuages en avait le goût âpre et tenace. Tu sais, tu le sais. Et tu continues. Et tu ne fais rien. Et tu me fais du mal.
« Oh my God. Should brackium emendo become our safe word? At least we know it’s super efficient.  » poursuivit-il comme pour me provoquer en lisant mes pensées. Était-il réellement capable de le faire ? Ou la magie nous liait-elle miraculeusement ce soir-là pour nous pousser à prendre ces décisions si difficiles à prendre, à dire ces mots si difficiles à dire ? Et si oui, alors pourquoi m’était-il impossible de lire dans les siennes ?
It's unfair and it doesn't even surprises me.
« SHUT UP!! » hurlai-je brusquement, me dégageant de son emprise, de son espace où je me sentais paradoxalement affreusement bien, où j’ignorais si j’étais vraiment celui dont il voulait se moquer avec tendresse ou s’il jouait ce sketch à d’autres chaque soir. I can’t take this anymore. Les mots glissèrent de mes lèvres, doux-amers et plein de rancœur. « I can’t do this. » balbutiai-je en détournant les prunelles. C’était inutile de le regarder, je savais. J’avais observé mille fois ce corps et ce visage pour savoir ce qu’ils faisaient à cet instant précis, en contemplant mes larmes couler lentement sur mes joues.
« Don’t make me do this » sanglotai-je, honteux. Ne me fais pas pleurer devant toi. Je le fais déjà assez quand tu n’es pas là. Je hoquetai, incapable de me ressaisir. C’est ça qui te fait avoir la trique, Levi ? De savoir que j’ai mal à une blessure que tu es le seul à pouvoir guérir ? Ces plaies du cœur gangrénaient tout le reste. Les avait-il étudiées pour mieux pouvoir les cacher dans sa poitrine ? Mieux pouvoir les ouvrir chez les autres ?
Mais Levi n’avait jamais été raisonnable, et il se leva avec cette même grâce syncopée qui l’avait accompagné dans la boîte de nuit à son arrivée, s’approcha de moi et ne me laissa pas le choix que d’accueillir ses lèvres sur les miennes, sa main encore osseuse agrippant ma nuque avec la fermeté des voleurs qui déjà couraient au loin après nous avoir dérobé nos trésors. Alors je l’accueillis, et le temps s’étira de nouveau tandis que mon dos rencontrait le mur arrière, son corps m’emprisonnant doucement sur la pointe de ses pieds chaussés de cuir. Extase. Il avait le goût d’un fix d’héroïne et son absence en serait la descente léthale. Don’t make me do this, lui avais-je pourtant dit. J’avais donc oublié que l’interdit l’attirait plus que tout le reste, et qu’il fallait lui mettre des embûches sur son chemin pour qu’il le considère à sa hauteur.
Mais Levi avait oublié la règle tacite
Tu la connais au fond de toi, pourtant
Tu sais pertinemment que c’était celle qu’il ne fallait pas ignorer
Dis-la moi dans l’oreille pour que je m’en souvienne, moi aussi

Il se détacha délicatement de mon visage, à regret. Dans ses yeux, des braises attisées, défiantes, car il connaissait la règle et qu’il devait se la répéter en la violant ainsi, persuadé d’être plus fort qu’elle, persuadé qu’elle ne s’appliquait pas à nous car il était Leviathan Faust. Alors je le laissai la lire à nouveau sur mes paupières embuées de larmes, une dernière fois avant de sombrer pour de bon :
Don’t kiss a junkie. Don’t let him fall in love. And, most of all, don’t fall in love with him.
Mes cils papillonnèrent et je le repoussai lentement après avoir prié en vain pour que cet instant ne finisse jamais. La réalité revenait à présent, et en son sein l’expression figée et satisfaite de Leviathan habillant son fin rictus. Il était fier de lui. Et j’avais cessé de pleurer.
« Levi… » commençai-je avant de serrer les dents. Il leva le menton, interrogatif. Devait-il se justifier pour ça aussi ? J’osai donc lui demander ?
Ce n’était pas ce que tu voulais, Eachan ? une conclusion ? une réponse ?
N’est-ce pas assez ?

Je rajustai d’un geste maladroit mes lunettes, encore hébété par ce qui venait de se passer. Les mots se battaient sur ma langue et ils venaient à bout les uns des autres. « I can’t do this. » parvins-je à articuler, et il haussa les épaules, peu convaincu : « But you can. I’ve got proof now. » ironisa-t-il, en référence à notre baiser. Il se croyait malin mais je n’étais pas le renard de cette histoire pour rien, et le savoir si inconscient me laissait démuni face au danger. No, I can't, and you know it. Mais il était égoïste : il voulait alors il prenait ce que nous avions fait miroiter la soirée entière – à moins que cela ne remonte à ces crépuscules new-yorkais sous lesquels il m’avait constamment trainé ?
« I know you. I know why you did that. And you may think it’s a good idea but believe me, … it’s not. » Il haussa les épaules, ses yeux de nouveau rivés sur sa main molle, l’agitant avec désinvolture. Il voulait se montrer indifférent à mes affirmations, bloquant les moindres injonctions que j’aurais pu formuler dans mon esprit en les faisant fondre face à son charisme. Mais je poursuivis malgré tout :
« I’m a junkie, Levi. You know how it goes with us. You’ve seen it tonight at the club. » Mes joues rougirent à nouveau et je retins les larmes : il ne me regardait plus mais il ne pouvait pas ne pas m’écouter, car il était difficile d’ignorer des appels à l’aide sur un champ de bataille, et ce toit avait fini par en devenir un. « Fuck. What d’you want me to say? » Je sentis sa réflexion se suspendre de nouveau et le contact visuel se reforma : il avait le regard sombre, celui des mauvais jours. Celui dont il se parait lorsqu’il ne voulait rien entendre. « Heroin’s better than a kiss. It’s better than a call from my mother. Better than an orgasm. I’ve lost friends because of it and we both know I’d do it again if I had the choice. This might be the only thing in the world that I know better than you so just … believe me when I tell you this: it’s better than … » Ma voix s’étouffa dans un premier sanglot. It’s better than loving you. J’aurais aimé ne pas y croire. Et son air interdit me laissait entendre que lui n’y croyait pas, de toute façon.
Je secouai la tête, défaitiste : « I don’t know affection, Levi. I know addiction, and it’s worse than everything. Because it prevents me from loving. »
Mon ton était sans appel : je n’attendais pas de sa part une solution miracle. Il me toisa alors, le vent balayant ses cheveux avec la désinvolture naturelle des intempéries lors des scènes dramatiques de nos vies étrangement si quotidiennes : I wanna live like common people, me rappela la chanson dans un écho d’une soirée encore si proche qu’elle fit battre mon cœur au rythme de sa mélodie. Mais j’en connaissais aussi la suite, et cela seyait parfaitement à Leviathan, comme tout ce qui paraissait avoir été créé à son image :
You’ll never live like common people
You’ll never do whatever common people do
Never fail like common people
You’ll never watch your life slide out of you
And then dance and drink and screw
Because there’s nothing else to do

Nous n’avions pas des vies ordinaires. J’aurais voulu, mais j’étais né ainsi, avec mes avantages et mes handicaps. Et lui, avec tous ses privilèges, ceux-là mêmes qui lui avaient appris à ne jamais accepter qu’on puisse lui dire non.
Il pinça ses lèvres avec arrogance, rajustant d’une main son costume soigné et joua de ma conclusion une dernière fois dans son esprit avant d’attraper le dernier mot au vol : « Oh, does it now? » Le ton pédant accordé à son allure, la silhouette pleine d’assurance et la voix sûre : autant de raisons qui le rendaient terriblement attirant, autant de raisons pour le repousser, autant de regrets que j’allais avoir le lendemain matin, et son sourire incrédule, presque trop cruel, m’imposait déjà sa victoire car je n’avais jamais été bon au combat, lâche comme j’avais appris à devenir.
Je lui laissai cette fameuse lâcheté en signature et transplanai loin de ce toit en le suppliant muettement de ne pas me suivre. Je connaissais Levi, et je savais que mon humeur l’avait agacé. What a killjoy, pensai-je avec une once d’amusement qui ne parvint pas à panser mes plaies ou sécher mes larmes.
Au moins, j’acceptais à présent de regarder ces blessures en face : elles soudaient ensemble ce corps et cette âme indissociables dans l’amour comme dans la douleur. Mais déjà sa présence me manquait et je redoutai le matin morose, trop proche de l’horizon pourtant toujours obscur, alors je me couchai en cherchant désespérément le goût ivre que ses lèvres avaient laissé en passant sur les miennes, leur parfum corsé m’empêchant de trouver le sommeil pour me prévenir de mes propres rêves impossibles.


Dernière édition par Ishikawa Ryuku le Ven 28 Fév - 18:54, édité 3 fois
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Ishikawa Ryuku
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MessageSujet: Re: (eachan reid)   (eachan reid) EmptyVen 27 Sep - 14:44

CHAPTER 7, “i'm on a diet. trying to go vegan”
feel your heartbeat lose the rhythm. he can't touch the world we live in. life is short but love is strong. there lies a hope that i have found and if you try you'll find it too : remember why i'm telling youtheme


(2002) « The guests are ready now. »
J’acquiesçai sans lâcher le reflet du miroir des yeux, intimant à la présence de s’éclipser pour me laisser seul. Je pris une longue inspiration, y scellant toutes mes angoisses pour les repousser le plus loin possible une fois mes poumons vidés de leur précieux oxygène. Mes mains ajustèrent le nœud papillon qui cernait mon cou, le trouvant toujours trop penché d’un côté ou de l’autre, hésitant une dernière fois sur cette couleur crème qui avait paru si bien me convenir, quelques semaines plus tôt.
Ils disaient que c’était normal d’avoir des doutes au seuil du chemin qui nous menait à l’autel. Qu’il fallait plutôt se méfier de ceux qui n’en avaient pas. Mais j’aurais été plus serein sans les signes avant-coureurs qui avaient précédé cet évènement, car il était le fruit d’une longue lignée de péripéties dont le comique de répétition n’avait pas eu l’air de nous lasser une seule seconde, au détriment de la patience des autres. Les autres pouvaient bien attendre, nous étions ce genre d’égoïstes, nous étions ce genre d’amoureux
Don’t you feel like we’re trying to force something here, Levi?
Je fermai les yeux : il me fallait une nouvelle inspiration.
Une nouvelle expiration.
Et le souvenir des préparatifs d’un mariage improvisé, un parmi tant d’autres, m’enveloppa comme par magie, ce qui m’aurait surpris si je n’avais pas su que cette dernière coulait dans mes veines, se mêlant à mes maux comme une herbe apaisait le goût d’un plat trop fort.

« Don’t you feel like we’re trying to force something here, Levi? » Le tailleur enroula son mètre autour de ma taille et griffonna une énième mesure sur son petit carnet. Allongé sur son bureau, les jambes trop courtes pour toucher le sol et les doigts croisés sur le ventre, Leviathan tourna la tête pour rencontrer mon regard interrogatif, l’éclat du sien m’offrant déjà l’ébauche de sa réponse sur un plateau. Il ne semblait pas voir le problème et resta silencieux, m’invitant à creuser le fond de ma pensée. You know what I mean. Bien sûr qu’il savait : justement, mes craintes rendaient toujours les expériences plus folles, car les prises de risque ne valaient rien sans le temps passé à prendre son élan avant le grand saut. « We’ve done it six times already and it hasn’t worked. » Il haussa les sourcils, feignant d’être vexé : « Don’t you know? The seventh time’s always the best one. That’s why I insisted on having sex with you everyday on the first week. I was looking forward to doing it on Sunday. » Il afficha une moue satisfaite : « And believe me, I wasn’t disappointed. » Je levai les yeux au ciel, reportant mon attention sur le tailleur lorsqu’il me demanda d’écarter les bras. Leviathan se redressa sans quitter son perchoir, s’appuyant sur le chêne vernis du plat de sa paume afin de soutenir son buste entier. Sur son visage, pas d’expression apparente, et pourtant j’y devinai l’ombre d’un sourire moqueur. Toujours le même.
« And seven is my lucky number. » Je le toisai, peu convaincu. Son air sérieux cachait toutes ces fausses justifications aussi attendrissantes que sottes, mais il les voulait ainsi pour rendre l’évènement candide – puisant sa beauté dans le simple fait d’avoir lieu et de célébrer l’union de deux êtres entre eux. « You don’t believe in lucky numbers. » rétorquai-je en marmonnant, conscient d’avoir en face de moi l’un des sorciers les plus rationnels de notre génération. La lueur dans ses prunelles pétilla un instant et je lui prêtai volontiers cette superstition naïve qui seyait si bien à ses expressions lorsqu’il paraissait heureux.
Are you happy, Levi?
Même en dormant sous la même couverture que lui, même en serrant son corps contre le mien, même en l’embrassant les matins où nos métiers respectifs nous laissaient le répit d’un petit déjeuner à deux, son masque ne tombait jamais tout à fait, certains morceaux soudés à ses joues, celles-là même qu’il soignait à chaque pleine lune après ses transformations, comme le reste de son corps hybride. Je l’avais vu faire : il pansait ses plaies sans broncher, prétendant ensuite qu’elles n’avaient jamais existé.
You can talk now. I’m here to listen.
Mes pensées à son égard ne cessaient jamais, lui envoyant constamment des signes, persuadé qu’il pouvait les lire. Son regard trop intelligent m’en donnait la certitude, sans que je ne puisse comprendre pourquoi.
« Leave us now, please. » ordonna-t-il au tailleur qui s’exécuta en nous saluant poliment. Mes bras retombèrent le long de mon corps et mes épaules rentrèrent vers l’avant. Leviathan se leva finalement et réduit la distance qui nous séparait – le salon, même en désordre, m’ayant toujours paru immense. J’inspirai prudemment, incapable de prévoir ce qu’il comptait faire à présent qu’il avait évacué une première réaction dans un flot d’humour. Il dansait constamment entre les deux : ainsi, il était maître de ses confusions et restait inaccessible. Que pouvait bien valoir le fruit mûr d’une réflexion sérieuse lorsqu’elle se ponctuait d’une blague grivoise qui la tournait immédiatement en ridicule ? La tension se relâcha et je soupirai le premier : « And why insist on buying a new suit? The last failed wedding isn’t that old. I can simply put the last one your tailor made for me, it still fits. » Il voulut répliquer mais j’enchaînai : « And don’t tell me it’s bad luck. You actually haven’t seen me in that suit since you canceled the wedding the night before when you were told Bonnie wasn’t coming. » Ses yeux papillonnèrent, incrédules, mais mon ton assombri ne laissait pas de place à la discussion. Alors il s’adapta.
« You got thinner since London. » dit-il simplement, et je serrai les dents pour bloquer toutes les pensées que cette simple phrase éveillait en moi, celles-là mêmes qu’il cherchait à rendre visibles, m’indiquant par un battement de cils qu’il comprenait, qu’il attendrait que je lui parle car Leviathan n’était certainement pas de ceux qui forçaient la discussion lorsqu’elle était évitable. Il n’avait pas le temps pour ça.
Mais paradoxalement, il aurait donné tout son temps pour moi.
Ne m’avait-il pas déjà offert tout l’espace qu’il possédait, me laissant respirer le même air que lui dans mon propre sommeil, constatant que ce dernier était plus pur autour de son aura irrésistible ?
I don’t want that much space, Levi.
Un espace que je comblais par un autre alors que chaque mission au Ministère me rappelait à Londres où je menais cette vie de solitaire qui m’avait toujours convenu.
Really Eachan? Mes yeux fuirent les siens avec lâcheté.
Because right now, you’re talking about loneliness like a heroin addict
Parlait-il à Bonnie ? Je ne consommais plus depuis mon overdose mais nous n’abordions jamais ce sujet lorsque nous étions ensemble, et je le gardais scellé au fond de moi pour ne pas lui faire de mal. Mon existence, bien qu’ayant basculé vers un équilibre plus certain, ressemblait à une pente douce que je prenais pour un mirage, m’y sentant glisser sans y croire et me rattrapant toujours au dernier moment comme on s’extirpait d’un sommeil soudain.
What are you trying to say?
Je restai de marbre, plongeant de nouveau dans son regard aux lueurs fauves et songeant à la prochaine lune durant laquelle il sublimait sa propre solitude. Comment me reprocher d’y prendre goût alors que lui-même avait toujours mieux fonctionné seul ? L’ironie se cachait dans les détails, ceux qui rendaient fous, cependant je savais pertinemment qu’il n’allait pas considérer les antidépresseurs que je m’administrais régulièrement depuis ma dernière rechute comme un simple détail, perdu au milieu du tableau. Non, ils avaient trop l’allure des opiacés prisés par une nouvelle génération qui nous avait dépassé : celle qui se droguait au travail et à la réussite. We might not belong in this one, but we belong somewhere.
Alors oui, une septième tentative de nous unir par les liens d’un mariage paraissait vaine, d'autant qu'il n'avait rien d'officiel puisque l'amour honnête de deux hommes ployait encore sous le poids du puritanisme, et pourtant son sourire dissimulé sous son air déjà vainqueur suffisait à me rassurer : malgré la distance, malgré le temps qui courait devant nous, malgré notre isolement volontaire et respectif, nous voulions être la moitié d’un tout pour avoir toujours une main à saisir dans l’obscurité, puisque celle-ci tendait à s’abattre au moment où l’on s’y attendait le moins. I'm happy when you are
Well, I'm happy when I'm taking my pills
Let me keep it secret and work on those vows again.
« I’m on a diet. Trying to go vegan. That’s the new hype in London. » ironisai-je pour crever l’abcès qui se formait entre nous. Mais Leviathan n’était pas dupe : s’il était certain que je voulais me marier autant que lui malgré mes réserves soudaines, il lisait dans mes yeux une angoisse plus grande qu’il me laissait combattre car ses batailles à lui étaient menées autrement : j’étouffais alors qu’il libérait, j’éliminais alors qu’il sauvait, j’esquivais alors qu’il décryptait.
« Perfect. More lamb for me on the big day, zorrito. » Le surnom affectueux qu’il avait adopté pour ponctuer ses phrases m’attendrissait à chaque fois, et je laissai même un rire évacuer ma nervosité, en réaction à sa plaisanterie de vieux loup. Il s’approcha davantage et m’embrassa avec la satisfaction de me savoir de son côté, en ce jour comme lors de ceux qui allaient suivre, nos lèvres nous liant à chaque fois plus profondément dans une éternité à laquelle nous croyions tous les deux, nos esprits critiques faisant miroiter son caractère universel autour de nos cœurs étriqués afin d'y laisser enfin entrer des sentiments plus nobles.

(2007) Je pris un instant pour m’asseoir, mes doigts tremblants cherchant un appui qu’ils trouvèrent sur l’accoudoir en cuir du canapé. Je restai interdit, les lèvres entrouvertes ne trouvant que le silence pour leur répondre alors qu’elles laissaient échapper un souffle pour évacuer la surprise et la colère qui commençait à gronder dans ma poitrine alors que je prenais conscience de la situation. Mes yeux passèrent sur les parchemins que j’avais laissés traîner sur le bureau, puis ils s’accrochèrent à mes phalanges crispées, y lisant leur résignation soudaine sur le relief de mes articulations fragiles. Les minutes passèrent, mais rien n’y fit : ni le refrain lointain de la circulation, ni la lumière tendre du croissant de lune brillant dans la nuit, ni le calme relatif de l’immense appartement où j’étais revenu quelques heures plus tôt, trop tôt pour que Levi songe à mettre de l’ordre dans ses affaires et son travail. L’idée de repartir me vint en première : après tout, il ne s’attendait pas à ma présence, le Bureau m’ayant octroyé une après-midi libre me permettant de revenir à New York et de profiter d’un weekend prolongé entre les bras de mon mari. You look like shit. Les mots de Malik, toujours suivis de son rire moqueur, me revenaient sans cesse en tête, comme la boucle d’un disque rayé sur une platine neuve. Mon regard balaya la pièce encore sereine, laissant rayonner dans ma mémoire le visage de mon collègue luisant sous les lumières tamisées du pub, son sourire disparaissant derrière le rebord de sa pinte avant qu’il ne reprenne : Take some days off, mate. You need it. We need it. Et j’étais ainsi reparti sans que ma confiance en eux ne frémisse, conscient qu’un écho de vérité se cachait sous ses paroles et que j’avais tendance à devenir irritable lorsque j’étais surmené par le travail.
Je me redressai, ma main se refermant sur le paquet que j’avais laissé traîner au coin de la table et j’en déchirai l’emballage soigné sans le moindre remord : n’ayant pas eu le luxe d’obtenir un portoloin tôt dans la matinée, j’en avais profité pour errer dans les rues de Londres et mes pas m’avaient mené jusqu’à Harrods, plongeant au milieu de la foule afin d’échapper à la pluie qui avait commencé à tomber sur la capitale. Can you wrap it? It’s for my husband. La vendeuse m’avait lancé un regard étonné jusqu’à ce que je me reprenne : My boyfriend. He has a sweet tooth. Les shortbreads s’écrasèrent un à un sous mes molaires puissantes et j’y devinai un goût sablé auquel Leviathan aurait probablement succombé malgré l’air fier avec lequel il m’assurait qu’il était en plein régime à chaque fois que je lui rapportais une sucrerie du Royaume-Uni. Mais ma salive acidifia le tout et je ne pus m’en délecter plus longtemps, ma colère me laissant écœuré par le sentiment qui m’animait depuis que j’étais entré dans la pièce.
J’entendis bientôt le son de la clé ouvrant la porte à l’autre bout de l’appartement, et des pas pressés cherchant qui pouvait bien être entré avant lui. J’avais laissé les lumières allumées pour le guider et sa silhouette se dessina alors à l’entrée de son bureau, son épaule venant s’appuyer sur l’encadrement avec désinvolture. Il plissa des yeux, étonné de me voir, et ne se montra pas chaleureux car je ne cherchai manifestement pas à l’être en retour.  « Everything alright? » s’enquit-il, ses prunelles cherchant un point d’accroche alors qu’il sondait les lieux en quête d’indices. J’avalai les dernières miettes d’un gâteau et passai mon bras sur mes lèvres avant de frotter mes mains pour remettre les parchemins en ordre et fermer le tout d’un geste sec. Je fouillai les poches de mon manteau à la recherche d’une cigarette que j’allumai d’un claquement de doigts ferme et provocateur, me relevant pour embaumer la pièce de l’odeur du tabac qu’il détestait tant : « You tell me. » Je m’approchai, surplombant sa silhouette malgré mes épaules recourbées et je relevai le menton, le défiant de me relancer. Il attendait des explications et j’écrasai le dossier contre sa poitrine, quelques feuilles retombant sur le sol et j’attrapai l’une d’entre elles avec hargne : « March 16th, 2006. The patient is experiencing behavioral changes mainly due to his workplace environment. He spoke of tensions between him and one of his coworkers regarding their mission. Troubled when mentioning his past but doesn’t want to share anything yet. This has occurred since his medication has been replaced : has trouble sleeping, eating and is particularly emotional when going back to London. I wonder if the Occamy egg is the reason for the inefficiency of the potion he is now taking. Maybe it needs to be brooded longer before it can be added- » Je relevai brusquement la tête pour planter mon regard furibond dans le sien : « What the fuck is this? » Il n’avait pas besoin de répondre : je savais ce que c’était. Mon quotidien de camé décrit dans les moindres détails, avec l’objectivité tranchante du médecin qui se vantait de ne porter aucun jugement. Et Leviathan jouait manifestement bien ce rôle-là, puisque j’avais retrouvé dans chaque mot la précision professionnelle qui faisait de lui le génie qu’il était - au détriment d’être un mari idéal. Je recrachai la fumée de ma cigarette sur son visage avant de m’engager dans le couloir pour ne pas avoir à soutenir son expression glaciale. « Don’t be overdramatic about it. » Je me retournai, le toisant avec sévérité puis écartant les bras comme pour déclarer forfait : « About what? » Je froissai le parchemin et le jetai sur lui sans qu’il ne réagisse. « Say it. » répétai-je, furieux. Say it: Eachan, I love you, but you’re addicted to drugs. Say it. Say it. Say it. Il avait passé toutes ces années à me faire croire qu’il s’en moquait, qu’il savait, mais que j’étais bien plus à ses yeux que celui qui avait échoué. Et j’avais été assez sot pour me laisser berner par ses sourires. Chaque instant de notre relation me revenait en tête mais ils se tordaient pour prendre une nouvelle apparence, mosaïque brisée sur le sol après un drame. « Fuck you, Levi. » Les heures passées à l’attendre ne semblaient pas m’avoir donné une répartie plus fournie que cette dernière, et il soupira profondément pour contrecarrer ma colère, secouant la tête d’un air exaspéré : « Right. » Son ton presque suffisant me crispa et je sentis mes crocs s’aiguiser sous mes lèvres et mes poings se serrer jusqu’à ce que mes griffes se plantent dans mes paumes. Mes traits tremblèrent et j’eus un mal fou à retenir mes coups : je ne voyais sur son visage que du dédain car j’étais aveuglé par la conviction de ne rien mériter d’autre. « You’re being selfish right now. This isn’t what it looks like and you know it. » Et pourtant, ça en avait tout l’air : des pages entières de précisions sur ma condition que j’avais eu le loisir de passer au peigne fin durant une soirée entière, jusqu’à ce que les détails me donnent la nausée tant je ne m’y reconnaissais plus, tant je n’y avais vu que l’ombre de mes démons, ceux-là mêmes que Leviathan semblait contempler chaque jour en faisant mine d’y voir tout autre chose. Now, I wonder. Je poussai la porte avec rage pour traverser le séjour, incapable de savoir si j’avais envie de disparaitre ou de brûler à la vue de tous. Briller puis être réduit en cendres, peut-être.
Now, I wonder. Levi s’avança, ses bras croisés froidement sur sa poitrine : « I’m working on something. Trying to find something that could help addicts go through withdrawal. You of all people should understand that. » Je le fusillai du regard, feulant presque à son attention avant de détourner les yeux : « You should have told me. » La colère laissa place à une douleur immense qui sembla trancher mes côtés et ma voix se fragilisa, une première fissure se traçant sur le barrage de mes émotions contradictoires. Mais je pouvais déjà deviner la pensée de mon mari derrière ses agissements, et son expression se cambra en un soupçon de remords, probablement imaginés par mon esprit malade, contaminé par sa trahison : « You know why I didn’t. » Je laissai mon corps reposer lourdement sur le mur, ma respiration haletante en quête d’oxygène et je vis l’hésitation traverser ses traits tandis qu’il faisait frémir ses doigts pour détendre l’atmosphère. You know that I needed you not to be aware so I could come up with the most accurate results. Il n’avait pas besoin de le dire : comme d’habitude, la logique primait sur les sentiments et je mordis ma lèvre pour retenir un sanglot, à l’image de ce qu’il voulait que je sois - un parfait sujet d’études. Now, I wonder. Et les questions se bousculaient dans ma tête sans y trouver leur sens ni leur réponse, alors je crachai des mots au hasard pour les empêcher de fermenter sur mon cœur : « I should have known. » Mon timbre assombri résonna dans la pièce mais ne sembla pas le perturber, et je penchai la tête avec peine, portant de nouveau le filtre à mes lèvres pour l’observer à travers l’écran de fumée. « For what other reason would Leviathan Faust be married to a drug addict? » Il fronça les sourcils et se figea : « That’s unfair, Eachan. » Mon poing s’abattit sur la paroi avec force, puis je m’avançai lentement en cherchant à l’intimider, en vain. « You know what’s unfair? grondai-je en jetant mon mégot sur le parquet d’un geste acariâtre, trying to be my best fucking self for eight long years and learning by accident that I can’t be anything else than a fucking junkie in the eyes of anyone I dare to love. » Je le pointai furieusement du doigt, ma voix réduite en un souffle glacial : « Study me all you want. I’ll make it easier for you from now on. » Sa mâchoire roula sous ses joues tendues et, l’espace d’un instant, je crus déceler le soupçon d’un doute dans ses iris brunes. Mais je ne restai pas une seconde de plus et disparus aussitôt le silence abattu entre nous pour rejoindre les rues new-yorkaises où le clair-obscur m’enveloppa, m’accueillant dans ma propre solitude.
Now, I wonder
If you ever meant the words you said to me
Talking for hours over the phone to make me think you were there when I fell asleep
But this wasn’t love. Must have been jet lag
Because now that I think about it
I never felt in the right place at the right time when you made me believe you loved me



CHAPTER 8, “(you) don't touch me (anymore)”
(please put me to bed and turn down the light) fold down your hands, give me a sign. put down your lies, lay down next to me, don't listen when i scream, bury your doubts and fall asleep. find out i was just a bad dream. let the bed sheet, soak up my tears and watch the only way out disappear. don't tell me why, kiss me goodbye. for neither ever, nor never goodbyetheme


tw - consommation de drogue

(2010) Vingt, dix-neuf, dix-huit, dix-sept, seize, quinze, quatorze, treize, douze, onze, dix, neuf, huit, sept, six, cinq, quatre, trois, deux, un
Euphorie
Un mot, trois syllabes, huit lettres et trois millions de putain d’orgasmes à la fois
Les ailes dans le dos, j’arpentai la pièce comme une plume aussi légère que le cœur d’un enfant. Sur le lit, encore la seringue, encore les restes de la dernière descente qui sentait la sueur froide et fiévreuse de la réalité
encore le ton froid et l’envie d’en finir, des traces d’une salive amère, écume houleuse du manque que je venais de combler
lâche-moi, tais-toi, tu sais pas
TU NE SAIS PAS

trois millions de putain d’orgasmes de pouvoir lui dire qu’il ne savait rien : des études, des échecs, des expériences, des réussites, du personnel, de l’argent, du temps, des connaissances, des nuits blanches, il avait soulevé des montagnes pour me faire croire qu’il en savait quelque chose
et au fond j’étais toujours le même camé avec le même putain de sourire qu’il aurait voulu arracher de mon visage pour y lire le regret
mais le regret n’existait pas au sommet sur lequel j’étais à présent perché
COMMENT VEUX-TU QUE JE REGRETTE ÇA ?

Tout se renversait contre mon corps éthéré et chaque choc me donnait envie de rire. Des morceaux de verres coupèrent le tissu de mes chaussettes et entrèrent dans ma peau
I can’t feel a thing
Mots pensés, dits, émiettés derrière mes pas pour toujours retrouver le chemin de la chambre une fois l’envol terminé. Je ne voulais pas songer à cette fin qui arrivait toujours trop vite
It’s too fucking big in here
Les pièces tournoyaient autour de moi, leurs murs s’allongeant sans fin dans ma rétine et je m’y collais pour en sentir les moindres vibrations : il y avait quelqu’un
Je me retournai en valsant, mon esprit continuant à emplir l’espace de ses arabesques, celles-là mêmes qui galbaient mon sourire vainqueur
j’ai gagné, Leviathan
ma main s’accrocha au rebord glacé d’un plan de travail et je devinai l’immense cuisine autour de moi, mes pupilles dilatées laissant une lueur d’émerveillement scintiller autour d’elle à chaque objet, tel l’enfant que l’injection faisait toujours renaître en moi
ces lieux qui d’ordinaire m’avaient toujours semblés si hostiles et qui aujourd’hui m’accueillaient comme l’un des leurs
dans cette vie qui n’était pas la mienne
Mon corps trébucha et mes paupières s’ouvrirent pour observer les traces rouges tracées sur le carrelage
I can’t feel a thing
chuchotements arrogants d’un homme à terre
« You’re bleeding. »
sa silhouette penchée au-dessus de moi, le ton fatigué, les cernes sous ses yeux consternés
what’s the matter?
un sourire de ma part, à moitié provocateur, à moitié sincère
à moitié dépendant, à moitié rejetant
« Don’t you dare ask. » Il avait sorti sa baguette et mes mains attrapèrent ses poignets pour qu’il cesse
lay down with me
ma voix s’évaporait dans l’air ambiant pour imprégner les murs, pour ne jamais qu’il l’oublie
dans quel état l’avais-je quitté ? dans quel état me retrouvait-il ? pourquoi ce fix dans cette chambre ? quelle quantité, depuis quand, jusqu’à quand
les questions se perdaient dans l’urgence, et je vivais pour l’éclat affolé qu’il ne parvenait pas à dissimuler derrière son masque
are you sad?
ma prise se raffermit sur ses avant-bras et je ne cillai pas, le laissant contempler l’étendue de cette joie que j’aurais voulu contagieuse, mais qu’il ne semblait pas à même de partager. il restait silencieux, comme éteint
are you sad, levi?
insistance, car je voulais voir les larmes couler de ses paupières s’il l’était, ou un sourire marquer ses traits car cela les rendait si doux
s’il n’était pas triste, il était forcément heureux
i’m sad all the time, but right now i’m not
mes paroles ne le convainquaient jamais
l’une de mes mains gagna sa joue et je me redressai pour approcher mon visage du sien, à la recherche de l’affection qu’il avait su si bien donner autrefois
aujourd’hui, il me repoussait
aujourd’hui, il ne me désirait plus
aujourd’hui, il ne m’aimait plus
aujourd’hui, ça n’en valait pas la peine
aujourd’hui, j’étais triste, encore
« Let’s get you back to bed. » m’intima-t-il en faisant basculer la force de mon poing vers ses muscles. « Stay with me two more minutes, please. » Mon corps s’appuya lourdement contre le plan de travail et je voulus qu’il me lâche : ses doigts glissèrent jusqu’à mon cou pour y sentir mon pouls et sa magie fusa dans mes veines
« GET OFF! » rugis-je en le poussant vers l’arrière, la réalité abattant froidement ses cartes entre nous et me noyant dans une lucidité soudaine. Cette dernière ne dura pas
don’t touch me
mes prunelles brûlaient
you don’t touch me anymore
il n’y avait qu’un pas entre tout avoir et ne rien vouloir
don’t leave me
mon corps, sans son soutien, ne tarda pas à glisser à nouveau vers le sol
mes jambes étalées en avant
mes bras étendus vers lui
retombant bientôt le long de mon corps
mes phalanges recueillant le sang furieux que mes pieds avaient tracés
peut-être qu’il fallait m’en vider
peut-être qu’il fallait juste en finir
avec ce sang corrompu

je levai mes yeux vers lui et observai sa silhouette auréolée d’un air amusé
you are sad, constatai-je finalement
« You know what they say … »
a sad leviathan is better than no leviathan at all
j’éclatai d’un rire nerveux et provocateur, incapable de retenir la moindre de mes émotions, elles se battaient en duel dans ma cage thoracique et je passais de l’une à l’autre sans avoir le temps de respirer
quinte de toux
i should quit smoking, what d’you think?
« Stay quiet. » dit-il avec un sérieux imperméable et je soupirai en laissant aller ma lourde tête sur le côté
levi, tu me manques
j’aurais voulu lui dire
levi, je me sens seul
j’aurais voulu lui dire
levi, pardonne-moi
j’aurais voulu lui dire
levi, merci
j’aurais voulu lui dire, mais la drogue maintenait mes lèvres closes à chaque fois. la drogue détestait leviathan. elle le savait puissant, elle le savait résistant, elle le savait protégé par toutes ces années passées à faire mine de ne rien ressentir. elle se savait faible face à un homme comme lui, et elle me faisait me sentir fort
fort, quand une pression de sa part suffisait à me plonger dans un sommeil sans rêve
il retira mes chaussettes humides de sang et s’appliqua à extraire chaque morceau de verre de la plante de mes pieds, le visage chargé par cette expression minutieuse que je lui connaissais si bien lorsque j’avais eu l’occasion de l’observer à son bureau
i can’t feel a thing
il pansait mes plaies avant qu’elles ne soient douloureuses
avant que je ne puisse plus les supporter
il le faisait à ma place car lui souffrait à chaque seconde, mais qu’il savait faire avec
levi, allonge-toi et laisse les larmes couler
j’aurais voulu lui dire mais je ne méritais pas ses sanglots
son regard se releva vers le mien, déjà humide, vers mes joues, déjà striées de sillons lacrymaux, vers mes lèvres, déjà entrouvertes par le manque d’oxygène, vers mon corps que l’héroïne voulait secouer de nouveau car la descente était trop proche à présent pour rester à terre
ça allait et ça venait pendant des heures qui passaient comme des secondes
combien de temps depuis la chambre ? depuis les morceaux de verre plantés dans mes pieds ? depuis son expression figée et ses ordres sans appel ? depuis l’ébauche de regrets que mes veines voulaient hurler en sentant sa magie les pénétrer, en vain ?
combien de temps
trop de temps passé à terre, c’était certain
je connaissais déjà le sol froid de sa cuisine lucide, et il ne m’avait jamais fait rêver
« Don’t try to stand up. »
fuck you
j’aurais voulu écraser mon poing dans son visage pour lui en rappeler l’effet
ça, il savait
mais en dehors de ça, il ne savait rien
« Don’t. »
rien, alors je m’élançai sur le côté pour m’échapper de son emprise
rien, alors je hurlai lorsqu’il me rattrapa
rien, alors je plaquai ma paume contre son visage, laissant mes griffes apparaître sans parvenir à compléter ma transformation
rien, lui qui pensait être le plus sauvage d’entre nous
mais il m’immobilisa sous le poids de son corps qui me parut immense et ses doigts atteignirent ma tempe
« NO!! LEVI, DON’T– »
une pression
puis un sommeil sans rêve



EPILOGUE, “i'm always late when i must repent for my sins”
i'm sure i'll find it (no one help me when my eyes go red) i'm sure i'll find it (no one help me when my, no one help when my-) do i matter? i'm ecstatic, i'm depressed, more like God's special mess, never had no halo. trippy, i can barely hike it out of bed, time bomb under it, persuading you to hop intheme


tw - consommation de drogue

(2018) Je passai une main fébrile dans mes cheveux et reniflai sèchement avant de porter ma cigarette à mes lèvres. Il faisait encore jour, pourtant l’automne régnait sur Londres depuis déjà de longues semaines, et la fine pluie s’intensifia bientôt, chargeant le ciel d’une lourde couronne de nuages sombres. Je quittai le recoin dans lequel je m’étais réfugié et m’avançai sur le parvis, grimpant les escaliers et me mettant à l’abris dans le bâtiment. Je levai la paume d’un air innocent en éteignant mon mégot dans le cendrier alors que la gardienne me jetait un coup d’œil réprobateur, et je laissai échapper un nuage de fumée dans le couloir en lui adressant un sourire amusé. Elle secoua la tête et se replongea dans la lecture distraite de son magasine.
Mes pas résonnèrent entre les parois du centre et, bientôt, je poussai la porte d’une salle éclairée en son centre autour de chaises vides : les silhouettes s’étaient déjà dirigées vers la machine à café dans le coin, et on parlait en chuchotant presque, l’éclat silencieux des regards trahissant les états d’esprit bien mieux que les mots eux-mêmes. On me salua et j’échangeai quelques poignées de mains fragiles mais chaleureuses avant d’attraper une viennoiserie et de me servir une tasse. « You’re late. » Je tournai la tête pour découvrir les traits de Belize, son corps svelte vêtu d’un large hoodie tombant sur ses côtes fines et ses poings fermés avec sévérité. J’étirai mes lèvres d’un air moqueur qu’il n’imita pas et ses paupières se plissèrent, me défiant de lui répondre. Je le fis pourtant d’une voix étrangement calme et profonde : « I’m always late when I must repent for my sins. » Cela ne le détendit pas et je pris une première bouchée pour étouffer un rire, conscient qu’il lui faudrait plus de temps pour accepter mes excuses. Il soupira, s’approchant afin de pouvoir baisser d’un ton et croisa les bras en se reposant sur le bord de la table. « What are you doing here, except for stealing our coffee? » Je levai les yeux au ciel et reposai ma boisson avec arrogance. You know what I’m doing here. Mais ressasser mon passé m’avait rappelé à quel point on avait besoin de se l’entendre dire pour pouvoir le comprendre, et que si le silence avait son sens, il avait aussi ses limites. Combien de temps accepterait-il mes approches sarcastiques avant de déclarer forfait ? « Don’t tell me you’re still mad. » ironisai-je en haussant les épaules. Il me toisa pendant de longues secondes, déglutissant sans songer à me rétorquer quoi que ce soit, puis souffla un juron avant de s’éloigner vers la sortie. Je pris un instant avant de me retourner, observant mon reflet noirci à la surface de la tasse et me jugeant à mon tour, par dépit.
J’entendais encore ses pas résonner sur le linoleum lorsque je me décidai à le suivre et j’accélérai la cadence, son ombre disparaissant au coin du couloir : « Belize! » appelai-je avec résignation. Il ne répondit pas mais je sus qu’il avait ralenti et je le rattrapai finalement dans le hall d’entrée, sous les yeux méfiant de celle qui m’avait froidement accueilli quelques minutes plus tôt. La pluie tombait plus sévèrement à présent et je laissai une distance entre nous, le regardant coiffer son crâne d’une casquette en tissu et rabattra sa capuche pour protéger ses oreilles des températures en baisse. « I’m sorry. » avouai-je finalement, soutenant son expression chargée de colère mais réussissant à garder son attention à mes côtés. « Don’t bother. I know you’re lying. » Je pinçai mes lèvres, navré, retrouvant la lucidité de celui qui avait été brisé assez de fois pour anticiper même les chocs les plus traîtres. Il me fit finalement face, levant le menton comme pour m’intimer de me justifier davantage, mais je me rendis compte qu’il ne pouvait pas être convaincu. Qu’il ne comprendrait que sa vérité, et ce à raison.
Il finit par s’approcher de nouveau, redressant ses épaules avec la fierté de ceux qui avaient gagné d’avance et chercha frénétiquement une cigarette dans sa poche : «  Why did you come back? » Son sous-entendu était clair : quel souvenir avait donc pu me faire ployer sous la réalité de ce que j’allais devoir abandonner pour retrouver l’illusion de ma liberté ? Les plus sentimentaux auraient répondu Leviathan, les plus naïfs Justice et les plus sots se seraient contenté de mes simples regrets tissant les liens entre chaque époque de cette existence qui, l’espace de quelques jours, n’avait tenu qu’à un fil. « You really wanna know? » lui demandai-je simplement, comme si le mystère avait encore sa place entre nous. Il me détailla lentement, suivant chaque ligne de mon corps maigre, dessinant mes cernes et les courbes irrégulières de mes ongles rongés, puis rythmant pas ses battements de cils mes constants tremblements et mes doigts se serrant avec folie au creux de mes coudes abîmés, le long de mes flancs ou contre ma nuque lourde. « I already know. » Il prononçait cela comme la sentence d’un juge au milieu d’un tribunal et je laissai échapper un rire doux, mais pas moins coupable pour ponctuer ses mots.
Le manque s’était changé en fatalité dans cette chambre terne, et les derniers souvenirs n’avaient fait que retourner le couteau dans chaque plaie rouverte. Les séances avaient dû être écourtées, mon incapacité à rester concentré les empêchant d’extraire quoi que ce soit de ma mémoire, et chaque entrevue était devenue plus pénible que la précédente, me laissant muet ou agressif et ne leur donnant pas d’autre choix que de systématiquement m’isoler de nouveau. Puis la solitude m’avait aliéné, jusqu’à ce que je ne puisse plus supporter la douleur, jusqu’à ce que ma chair s’arrache sous mes griffes et que mes mots deviennent des cris plaintifs à mesure que les fragments de mon passé étaient remués et disséqués par de parfaits inconnus. Enfin la paranoia s’était abattue sur mon esprit tourmenté, vautour en quête d’une charogne au milieu d’un désert stérile, et je m’étais enfui, non sans m’en prendre à Olly et à ses sourires agaçants où j’avais retrouvé ceux de toutes les âmes ayant fait mine de me tendre la main pour mieux me voir glisser de la falaise et m’écraser en contrebas, là où leurs yeux ne passaient pas, de peur d’être pris de vertiges.
La vérité me brûlait le visage : je n’étais pas doté d’un tel courage, et Olly s’était appliquée à me le rappeler avant de s’évanouir, son sang coulant de la plaie de l’une de mes morsures et ses mots faisant écho aux rumeurs du lieu où je m’étais scellé de plein gré pour me rendre compte que je ne tenais même pas les paroles que je me donnais à moi-même. Et j’avais disparu, à nouveau, réflexe devenu sombre leitmotiv qui ne surprenait plus ceux qui avaient eu la malchance de croiser ma route.
Alors je ne pouvais que comprendre Belize et m’incliner sous le poids de ses reproches car sa vérité avait plus de sens que la mienne, et qu’il connaissait les gens de mon espèce : il les voyait chaque semaine, au fil de leurs progrès comme de leurs déceptions, tissant le récit de ces existences qu’ils avaient tout de même besoin de garder en eux pour pouvoir avancer. Etait-je son plus grand regret ? Sa plus grande désillusion ? Ou m’instaurais-je ainsi en martyr par habitude, pour profiter d’être au centre de l’attention en feignant de préférer les coins de salle ? « I can’t help you if you don’t want to help yourself, Eachan. » dit-il finalement avec cette sagesse que je lui enviais presque en constatant son âge. Il soupira, me contemplant à nouveau en silence, l’expression fermée pour ne pas y laisser passer l’espoir. Pas à nouveau.
« I don’t want to be alone tonight. » avouai-je enfin par faiblesse, et son regard s’accrocha de nouveau au mien pour le défier mais il n’y avait plus grand chose à combattre dans ces prunelles béantes. Il regarda sa montre et souffla de nouveau, puis se tourna vers la sortie et s’engagea sous la pluie. « Come on. » m’ordonna-t-il et je m’exécutai, me plaçant à sa hauteur et lui jetant un coup d’œil presque mélancolique. Nos doigts se rencontrèrent finalement et je me laissai tirer en avant, puis nous disparûmes à travers la brume, notre trace se dissipant parmi les ombres.
Je m’ébrouai avant de m’asseoir sur le lit et le bras de Belize me lança une serviette qui tomba mollement à mes pieds. Je séchai mes cheveux et les recoiffai d’une main tremblante puis laissai les bruits ambiants me bercer en attendant son retour. L’appartement du sorcier se trouvait en périphérie de Londres, au sixième étage d’un petit immeuble en briques et où chaque palier se laissait embaumer par des odeurs diverses de cuisine. La circulation éclairait la pièce et Belize se présenta de nouveau face à moi, balayant l’air de sa main libre pour allumer les bougies qui flottaient au-dessus de nouveau. Dans l’autre, il portait une petite boîte qu’il déposa sur la table de nuit avant de se tourner vers moi, une cigarette éteinte entre les lèvres. « Take off your coat and lie down. » Je lui obéis en silence, mon corps s’étalant sur son matelas, puis il déboutonna ma manche et la rabattit vers mon épaule. Je détournai les yeux, incapable de regarder mes propres démons en face et sentis les doigts de l’infirmier passer sur mes plaies et mes cicatrices avec un onguent réparateur, soulageant alors la douleur fantôme qui tiraillait constamment chaque muscle de mon corps. Je passai ma langue sur mes lèvres sèches, n’osant pas observer les gestes méticuleux de Belize mais les devinant malgré tout à chaque bruit qu’ils émettaient. J’ouvris le poing, mes membres se détendant progressivement, et fermai les yeux pour l’écouter faire : l’odeur du désinfectant gagna mes narines, puis le cliquetis des bocaux et le froissement des emballages sonnèrent comme une partition familière se concluant sur le crépitement de la flamme et le murmure d’une réaction chimique. Je laissai apparaître un sourire serein sur mon visage, le cachant à mon hôte de peur qu’il le prenne de la mauvaise façon - s’il y en existait une bonne. Enfin, Belize serra le garrot et je refermai mon poing à nouveau, sa paume caressant ma peau à la recherche d’une surface encore fertile. « Eachan. » souffla-t-il et je me tournai, le regard transi de doute et d’une honte soudaine. Mais sur ses traits ne se reflétait qu’une profonde compréhension, et il m’indiqua une petite fiole à mon chevet, encore fermée. « Don’t forget to drink it when you wake up. » J’acquiesçai lentement et mes prunelles se gorgèrent soudain de larmes, la douleur du manque s’intensifiant toujours lorsqu’il était sur le point d’être comblé, puis Belize tapota sur la seringue avant d’en planter l’aiguille dans ma chair pour en vider le contenu avec une maîtrise professionnelle. J’inspirai profondément, le sentant détacher le garrot et passer sa main dans la mienne pour la desserrer, mais je ne pus m’empêcher de crisper mes doigts autour des siens, craignant brusquement qu’il ne me laisse. « Don’t worry. I’m staying with you. » Il disait ça avec la douceur d’un parent venu trouver son enfant en pleurs, et je me décidai à le croire lorsqu’il enjamba mon corps pour se poser à mes côtés, m’enlaçant doucement sans lâcher prise - c’était toujours moi qui partais, de toute évidence. Les secondes s’étirèrent et mes lèvres s’entrouvrirent faiblement pour former une parole : « Thanks. » Une simplicité qu’il aurait pu trouver amère, ou peut-être ironique, lui qui passait son temps libre à mener les égarés sur le chemin de la sobriété, mais il connaissait cette peine au moins autant que moi, si ce n’était plus, et il pouvait comprendre pourquoi on décidait parfois de s’y plonger pour oublier les moments où l’on cherchait à y échapper, à jamais piégé par la fatalité de pas trouver les issues que tous nous pointaient du doigt avec pourtant tant de bonne volonté.
At least, you understand
You make me believe there’s a meaning to this nonsense
You make me believe that I have my place in this world
Or that it’s waiting for me in the next one
The one I’m reaching for right now
Maybe too recklessly, I’ll give you that
But I know you’re not going to let go
I know you’re holding tight because I can’t do it myself
And I know that one day, you’ll teach me how to hold you back


Dernière édition par Ishikawa Ryuku le Dim 8 Mar - 19:44, édité 8 fois
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